Tout à l’ouest du Tibet, du côté de Ngari s’étend une vaste terra quasi incognita qui a bien du mal à noircir les cartes des géographes. On y trouve des paysages démesurés où l’âme risque de s’évaporer à tout moment. Des montagnes et des hommes cuits par le vent et le soleil y racontent l’histoire d’un royaume oublié depuis bientôt 4 siècles.
Ils sont six. Six pèlerins, coiffés de Stetsons défoncés, enfouis sous de lourdes houppelandes, arpentant la montagne de Tirthapuri de leurs bottines à pointe retroussée. Ils fleurent bon le Tibet profond… et à l’occasion le suint de mouton. Leurs pommettes saillantes cramées par le grand air, leurs longues nattes traînant sous les galurins fatigués finissent de leur donner ce petit air de guerriers Sioux en maraude. Ils ont mis 5 jours pour venir en 4 x 4 du fin fond de l’Amdo par des pistes où un paysan n’oserait pas aventurer sa brouette. Et ils tournent, ils tournent. Il faut dire qu’on tourne beaucoup au Tibet. Les khoras, ces longues circumambulations autour de montagnes sacrées, lavent les pêchés et élèvent les âmes. Les Bouddhistes tournent dans le sens des aiguilles d’une montre, les bön-po, adeptes de la vieille religion animiste et chamanique, tournent dans le sens contraire. Et les moulins à prières tournent sur eux-mêmes. Comme si ces girations incessantes étaient à même de combler cet espace infini, ce rien immense d’une inconsistance de nuage. (…)