Ce n’est pas parce que les dragueurs de camping balancent « Ti amo », « Ich liebe dich» ou « Te quiero », au premier slow, qu’il ne faut jamais croire ces mots. Même à la piscine des Flots bleus, on peut dire « Je t’aime » avec sincérité. Reste une question : quelle valeur revêtent ces mots dans une autre langue ? Sont-ils aussi anodins qu’un « t’as de beaux yeux », ou aussi chargés qu’une demande en mariage ? Des linguistes se sont penchés sur la question de comment dire l’amour*.
Les Américains sont les plus expressifs
On est encore loin d’un dictionnaire mondial du « je t’aime », mais des tendances émergent. Par exemple, on a plus de chances d’entendre « je t’aime » aux États-Unis qu’au Japon : 50% des Américains le disent fréquemment au sein du couple, contre seulement 28,9% des habitants d’Asie de l’Est1. Inutile de fantasmer sur les Allemands, car eux aussi prononcent moins de « Je t’aime » que les Américains. Ce n’est pas qu’ils ne sont pas moins amoureux, mais ils préfèrent les gestes aux mots : 80,7% des Allemands expriment leur amour de façon non verbale, contre 45,1% des Américains.
Ces études sont trop limitées pour tirer des conclusions générales, mais il semble que c’est aux États-Unis qu’on déclare « je t’aime » avec le plus de facilité : autant à sa famille ou à ses amis qu’à l’élu(e) de son coeur. Gare aux emballements, donc, et ce n’est pas parce qu’une belle New-yorkaise vous murmure« I love you », qu’il faut l’imaginer la bague au doigt !
Dis moi d’où tu viens je te dirai comment tu aimes
Pour juger du poids d’un « je t’aime », il faut aussi tenir compte de la langue maternelle de la personne qui le prononce. C’est ce qu’a découvert Jean-Marc Dewaele, chercheur à l’université de Londres. Son enquête a porté sur 1500 étudiants vivant aux États-Unis, mais issus de nationalités différentes : alors qu’ils disent facilement « I love you » en anglais dans les amourettes, quand l’histoire devient sérieuse, c’est dans leur langue natale qu’ils prononcent « Je t’aime » ! En somme, ne pas croire l’Italien qui jure sa flamme à vos pieds tant qu’il n’a pas clamé un « Ti amo » ensoleillé (bon, même après, ce n’est pas forcément une preuve).
Le diable se cache dans les malentendus
L’écrivain tchèque Milan Kundera (aujourd’hui Français) en a fait les frais, comme il le raconte dans son livre « L’Immortalité ». La première fois qu’il a reçu un courrier de la secrétaire des éditions Gallimard se terminant par « Veuillez agréer, cher Monsieur, l’assurance de mes sentiments distingués », il a cru avoir fait une touche : « De joie, j’ai sauté au plafond: à Paris, il y a une femme qui m’aime! Elle a réussi, dans les dernières lignes d’une lettre officielle, à glisser une déclaration d’amour! ».
Le pauvre est tombé de haut en découvrant que « les « « sentiments distingués » représentent le plus bas degré de la politesse administrative ». Mais s’il avait persisté dans sa méprise, peut-être aurait-il noué une idylle avec cette secrétaire ? Finalement, les méprises linguistiques n’ont pas que du mauvais, elles peuvent aussi faire naître des histoires d’amour.
*“Emotion expression and the locution ‘‘I love you’’: A cross-cultural study », R. Wilkins, E. Gareis, International Journal of Intercultural Relations 30 (2006)
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