Hajar Raissouni et la lutte pour la liberté sexuelle au Maroc - A/R Magazine voyageur 2020

Hajar Raissouni et la lutte pour la liberté sexuelle au Maroc

« Jusqu’à quand va-t-on vivre avec ces lois qui datent de 14 siècles ? »

Quand on se promène dans une grande ville marocaine comme Marrakech, le spectacle de filles maquillées et court vêtues dans les quartiers dits « modernes » (c’est-à-dire, où l’on sert de l’alcool), pourrait donner l’impression d’une sexualité libérée. Sauf qu’en ce domaine, les limites sont vite atteintes, comme le prouve la condamnation de Hajar Raissouni (et aussi de son fiancé, de son médecin, de l’anesthésiste et même de la secrétaire médicale). Le peintre et écrivain Mahi Binebine est l’un de ses soutiens les plus assumés : «On est fatigués de vivre dans la schizophrénie. Si un gars viole une femme et l’engrosse, l’avortement est interdit. Jusqu’à quand va-t-on vivre avec ces lois qui datent de 14 siècles ? » Les progressistes réclament notamment l’autorisation de l’avortement. On estime qu’entre 600 et 800 sont effectués chaque jour au Maroc – 73 femmes ont été poursuivies pour ce motif en 2018. L’adultère, lui aussi, est puni de prison (3048 personnes poursuivies en 2018). Mais le plus absurde, ce sont les lois qui interdisent les relations sexuelles hors mariage. Si deux personnes de sexes opposés se promènent main dans la main sans être en mesure de fournir un certificat de mariage, elles peuvent être traînées devant un tribunal (14 503 per- sonnes poursuivies en 2018).

Les petits futés et la technique du sexe automobile

Tout cela n’empêche évidemment pas les Marocains de faire l’amour. Sauf qu’il faut redoubler de ruses (comme dans tous les pays arabes, d’ailleurs). Pour les jeunes, pas question de recevoir le petit copain ou la petite copine sous le toit familial avant le mariage. Ils peuvent aller à l’hôtel, en prenant non pas une, mais deux chambres – le réceptionniste n’est pas dupe, mais ça marche. On peut aussi louer un appartement à l’heure. La voiture est également une solution, comme le rapporte la jeune Fatima : « Les garçons qui ont des voitures sont avantagés. Il y en a même qui ont des vitres fumées, mais c’est à double tranchant, car ça attire l’attention ». La technique du sexe automobile peut même être améliorée, nous apprend Mahi Binebine : «Il y a un mec qui avait une petite voiture. Il avait installé un lit derrière, et il le louait à 50 dirhams [5 euros] pour une heure. Il roulait tranquillement pendant que les autres niquaient derrière. Mais il s’est fait choper. »

« Beaucoup de gens se disent que si on dépénalise les relations sexuelles hors mariage, ça va être l’orgie pour tout le monde »

Aujourd’hui, la liberté sexuelle est encore loin d’être acquise, à en croire la journaliste et militante féministe Fedwa Misk : «Beaucoup de gens se disent que si on dépénalise les relations sexuelles hors mariage, ça va être l’orgie pour tout le monde. Les mecs se disent qu’ils ne vont plus trouver de fille vierge pour le mariage. Ou alors, ils disent je vais me lâcher et je ne pourrai plus jamais revenir dans le droit chemin, donc autant que ce soit interdit. Et les femmes ont peur que les mecs se mettent à coucher partout et qu’ils ne veuillent plus se marier. » Tout cela ne concerne pas les touristes, qui eux, peuvent librement se promener main dans la main ou prendre une chambre d’hôtel sans être mariés. Mais il est bon d’avoir à l’esprit que beaucoup de Marocains leur envient cette liberté sexuelle.

Photo d’illustration tirée du film Sofia de Meryem Benm’Bare, qui traite de l’accouchement hors mariage d’une jeune femme dans le Maroc d’aujourd’hui à retrouver dans l’article suivant

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Écrit par
Antonio Fischetti
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