Une casquette de base-ball, des lunettes de soleil, un blazer et une pipe dans la main. Sébastien Liébus, fondateur du site parodique Le Gorafi, nous ouvre la porte des bureaux situés rue des Italiens à Paris dans les anciens locaux du journal Le Monde transformés en immense espace de co-working. Quelques minutes plus tôt, on l’avait salué sans ce déguisement digne de l’inspecteur Clouseau. Il se faisait passer pour son assistant. Hilarant, non ?
A quoi sert la satire ?
La satire telle qu’on l’utilise au Gorafi est une arme politique. Elle sert à défendre ceux qui ne peuvent pas se défendre et à combattre en quelque sorte l’oppression, les puissants comme Bolloré. La satire est là pour renvoyer une image du monde actuel, elle peut être drôle ou triste. En dehors des sujets d’actualité, on s’intéresse au quotidien avec des titres du genre « Trop souriant dans le métro, il finit en garde à vue». Cela paraît absurde, mais on se dit en même temps que ça pourrait arriver. Quelquefois, on n’a même pas besoin d’inventer: «Il montre la photo de son enfant alors qu’on ne lui a rien demandé».
Mais la satire avant tout libère les capacités créatrices. Vous pouvez par exemple donner la parole à un disque dur, qui serait triste, parce qu’il ne sert qu’à stocker des films pornos; vous pouvez raconter l’épopée d’une biscotte qui sort enfin du grille-pain. Quand on parle de satire, beaucoup pensent fausses infos ou blagues. Moi, quand, j’ai créé Le Gorafi, j’avais une autre idée. J’étais en quête d’un rire recherché, abouti, avec vraiment un discours derrière. Quand en 2008 je vais aux États-Unis, je découvre The Onion [journal satirique américain crée en 1988] et là je me dis: «Waouh, c’est exactement ce que je fais dans mon coin, mais on peut le faire à grande échelle.» Ensuite, il m’a fallu encore 4 ans pour pouvoir lancer Le Gorafi, comme il existe aujourd’hui.
Et le nom du Gorafi, ça vous est venu tout de suite ?
C’est une longue histoire qui remonte à 2003. Je venais d’arriver à Paris où il y avait des manifestations contre la réforme des retraites. Le Figaro ne se privait pas de publier des papiers incendiaires sur les grévistes. En jeune idéaliste, j’ai alors décidé d’écrire un pamphlet contre Le Figaro que j’aurais collé sur les murs de Montmartre où j’habitais. L’idée était de faire une fausse une du Figaro que j’aurais appelé Le Gorafi [son anagramme]. Finalement, je ne suis pas allé jusqu’au bout, mais j’ai gardé le doc sur mon ordi. Quand en 2012 j’ai créé un compte Twitter, pour encore une fois parodier Le Figaro qui à l’époque était ultra sarkozyste, le nom m’est revenu, mais j’étais loin d’imaginer que 11 ans plus tard, on en serait là. Quand je crée le compte en 2012, c’est pour m’amuser une semaine. J’étais loin d’imaginer que ça bouleverserait l’actualité française. Si l’actualité est aussi malade en France, c’est à cause moi, je suis désolé.
J’ai ouï dire que vous étiez un marin.
Je débute, on va dire. Mais oui, je sais naviguer, je sais lire une carte marine, faire un cap, régler les voiles, barrer. J’ai pris des cours et je me suis acheté un voilier au mois d’avril. En fait, ce n’est pas si cher que ça. Il est à Sainte-Marie-la-Mer où j’habite désormais. C’est à côté de Port-Leucate. Là, je suis en train de le rénover et j’apprends à me servir d’une scie sauteuse, d’une scie circulaire…


Comment êtes-vous venu à la mer ?
Je portais ça en moi depuis très longtemps. Quand j’étais plus jeune, mon grand trip, c’était: quand je serai plus vieux, c’est-à-dire maintenant, je m’achèterai une espèce de chalet en montagne, pas trop éloigné de la ville, un truc tranquille, reculé, mais pas en mode ermite. Aujourd’hui, mon bateau, c’est le chalet que j’avais en tête, un chalet je que je peux déplacer où je veux. Depuis quatre ans, j’ai dévoré toute la littérature de voile, aussi bien les manuels que les récits. Mettre les voiles, un bouquin d’Antoine, donne énormément de conseils pour choisir un bateau. Je me suis nourri de La Longue Route de Moitessier même si j’ai mis du temps à comprendre ce qui l’avait poussé à abandonner la course autour du monde qu’il était sur le point de gagner pour poursuivre sa route vers le Pacifique. En fait, il avait trouvé la liberté et ne comptait pas la perdre. On dit du bateau que c’est le moyen le plus cher et le plus lent d’aller un endroit à un autre, mais ça offre la liberté.
Textes : Michel Fonovich et Photos : Frank Ferville
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