À Caño Negro, l’une des principales réserves humides du Costa Rica, les habitants du village du même nom, le seul dans cette zone naturelle de près d’une centaine de kilomètres carrés, ne comptent pas les moutons pour s’endormir, mais plutôt les oiseaux. Il y a de quoi faire entre ceux venus grelottants d’Amérique du Nord pour se réchauffer sur les bords du Rio Frío le temps d’un hiver et ceux vivant à demeure toute l’année dans une atmosphère d’étuve qu’ils ne quitteraient pour rien au monde. Notre bateau à fond plat se faufile le long des innombrables canaux qui s’infiltrent en tournicotant à travers les mangroves. Le soleil est à peine levé, mais déjà un martin-pêcheur plonge et replonge dans l’eau à la recherche de sa pitance ; un cormoran figé dans une position grotesque sur une branche tortueuse sèche ses plumes ; des ibis haut perchés contemplent la ligne verte de la canopée… ça piaille, ça jacasse, ça siffle, sans que les caïmans vautrés sur les rives boueuses ne bougent d’un cil. Pas une maison à l’horizon, pas de route non plus, juste la silhouette du volcan Tenorio, au bout des plaines marécageuses qui s’étirent jusqu’au Nicaragua. On savoure cette vision digne du paradis jusqu’à l’instant où une embarcation pleine de touristes surgit de nulle part avec son chargement de touristes ornithophiles. Clic, clic, le cliquetis hystérique de leurs appareils photo bazookas a hélas vite fait de faire peur aux enchantements. Renato Panaguia Rodriguez, notre guide, ne se formalise pas. Il a l’habitude et surtout compte sur ces touristes monomaniaques pour gagner sa vie. Si d’aventure, un oiseau met en défaut son savoir encyclopédique, il dégaine la bible des ornithologues, Les Oiseaux du Costa Rica, de Richard Garrigues et Robert Dean. Dans le « plus beau marécage du monde », Renato est comme un poisson dans l’eau. Qu’elle est loin l’époque où il vivait dans la fumée des pots d’échappement de la capitale San José. À Caño Negro, outre la sublime nature, il a rencontré sa femme, Tatiana, une Péruvienne tombée comme lui sous le charme des humeales, comme les Ticos (surnom des Costariciens) appellent les zones humides de la région. (…)
Photographe : Jérémie Vaudaux