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Une journée à Kinshasa, capitale de la RDC

Je t’écris de Kinshasa où je marche sous le soleil de l’équateur, ce qui n’est pas très malin quand on a la peau blanche. En dix minutes, je me fais quelques copains que je n’aurais pas rencontrés en voiture et j’attrape un cancer du nez. Un homme se promène, une poignée de chargeurs téléphoniques à la main. « — C’est votre business ? — Oui, j’achète aux Chinois et je revends dans la rue. Mais ça suffit pas pour vivre, c’est dur. Il faudra le dire à Macron. »

« Winnie l’ourson fait des roulades en mon honneur à Kinshasa »

Dans un collège pour riches, les gamins ont préparé une chorégraphie pour me souhaiter la bienvenue. La prof de français déguisée en costume traditionnel est suivie par une troupe de collégiennes en uniforme. Elles s’agitent à quatre pattes devant moi dans un booty shake digne des clips de Rihanna. Elles ont 12 ans, on est dans une école. Après mon d’intervention (« lisez les jeunes, aiguisez votre curiosité, vous êtes l’avenir, tout est possible »), deuxième round de chorégraphie. L’enseignante porte maintenant un costume de Winnie l’ourson et elle fait des roulades devant moi au son du tambour. Je répète : Winnie l’ourson fait des roulades en mon honneur à Kinshasa.

« Voyager est une bénédiction pour un Africain »

Au Malewa, une gargote de rue, une maman prépare ses plâtrées à l’ombre d’un acacia. Les hommes parlent de foot et d’émigration assis sur le capot des voitures. « Voyager est une bénédiction pour un Africain », me dit un Africain qui ne peut pas voyager faute de visa. On me raconte l’histoire de la caserne de pompiers qui a brûlé faute d’eau pour éteindre l’incendie. On m’assure aussi que frapper sa femme est une preuve d’amour. La maman tchipe. À la Fête du livre, de jeunes éditeurs tentent courageusement de diffuser le travail des poétesses kinoises. Un vieux mandarin universitaire, tiré à quatre épingles, vaniteux, méchant, leur lance : « C’est loin d’être de la poésie ».  Louison Mbeya est styliste, talentueux, orphelin, en colère contre cet État qui n’existe que pour spolier la population. Nous partageons un poisson dans la fumée d’un barbecue et sous les décibels d’une vieille rumba. Un individu vient mendier notre assiette vide pour sucer les arêtes. Il a 6 ans. Ses petits collègues de la rue fondent sur lui pour récupérer des miettes du butin.

« Monsieur Blanc-Gras, que pensez-vous de l’homme noir ? »

Lors d’une conférence à l’Institut français, quelqu’un me demande : « Monsieur Blanc-Gras, que pensez-vous de l’homme noir ? » Je marche sous la lune de l’équateur, des adolescents en haillons m’entourent, défoncés et menaçants ; ça m’apprendra à faire le malin. Je saute dans un taxi. Je vais perdre une heure au casino où des Libanais, des Chinois, et des fils à papa congolais en Ralph Lauren viennent flamber leurs dollars. À la roulette, un petit con d’expat parle des croupiers devant eux comme s’ils n’étaient pas là. Quand il perd, il soupire « pays de merde » en me jetant un coup d’œil pour créer une connivence entre Blancs (mais non). Une jeune femme tarifée m’aborde en me proposant de la « baiser fort dans le cul » (mais non), à deux pas d’un panneau publicitaire clamant : « Crois au seigneur Jésus et tu seras sauvé. »

La République démocratique du Congo a connu trop de tragédies pour qu’on puisse les égrener ici. Disons simplement que les guerres récentes ont coûté des millions de vies et qu’il y a un immense portrait de maître Gims dans le hall de mon hôtel. « Ici, on a bien compris le sens du mot résilience, me confie une poétesse qui s’ignore. Il y a trop de poussière sur nos souvenirs. Pour vivre, j’oublie que rien ne va. »

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Écrit par
Julien Blanc-Gras

Né en 1976, Julien Blanc-Gras est un écrivain et journaliste-reporter.
Après des études de journalisme à Grenoble, il obtient un DEUG d’histoire puis une maîtrise en journalisme, puis à Hull en Angleterre.

En 2005, il publie au Diable vauvert, « Gringoland », qui conte un périple latino-américain et sera ensuite lauréat du festival du Premier Roman de Chambéry et « Talents à découvrir » des librairies Cultura.

En 2008, il publie « Comment devenir un dieu vivant », une comédie apocalyptique déjantée, puis « Touriste » en 2011, et « Géorama » en 2014.

Il a également séjourné aux îles Kiribati à l’automne 2011 pour réaliser son livre, « Paradis (avant liquidation) » (2013).

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