Cher A/R,
Dans les couloirs du métro de Moscou, on pourrait très bien se croire sous Brejnev. Les contrôleurs poussiéreux installés au bas des gigantesques escalators n’ont pas dû bouger depuis le XXe congrès. On trouve encore faucilles et marteaux sculptés sur les colonnes, ornements rescapés du réalisme socialiste. Remonté à la surface, des Mc Do et des 4X4 qui roulent à 150 km/h me rappellent qu’on est sous Poutine.
Sur terre et sous terre, la morosité fataliste de l’âme russe saute à la gorge. Je lis la perte d’un empire dans les regards fatigués. Tout est terne, comme s’il fallait imiter le ciel. La Russie est un des seuls pays dont la population diminue, le nombre d’avortements est supérieur à celui des naissances. L’avenir n’a pas le vent en poupe.
La nuit tombe à 16h et le décor change. L’âme russe fait volte-face. Le Moscovite est abrupt jusqu’au moment où il a suffisamment d’alcool dans le sang pour ouvrir largement ses bras et t’accueillir comme un frère. Me voici dans un club pour privilégiés, décadent à point. Porte très sévère – rich or beautiful people only – et danseuses en cages suspendues au plafond. Au bar, des dizaines de Barbie, immenses blondeurs trop apprêtées, qui semblent n’avoir jamais décoché un sourire de leur brève existence. Ce ne sont pas exactement des putes, plutôt des chercheuses d’or, qui, de leurs talons, creusent les sables mouvants de la libido masculine jusqu’à trouver la pépite ou la truffe. L’endroit est bondé. Tout le monde boit, personne ne danse. Surtout ne pas s’amuser. La vie est tragique, merde, relisez Maïakovski.