Susana Baca : la pro de l’afro-péruvien

Tout au long de sa carrière, Susana Baca a patiemment fait découvrir le répertoire afro-péruvien au reste du monde. A 75 ans, la diva publie un nouvel album pétillant mais profond. Entretien…  

Susana Baca
Couverture de l’album Palabras Urgentes par Susana Baca
Quel est l’objectif de ce nouvel album ?

Je dois dire que c’est un disque différent, autant dans la manière de faire que par rapport aux productions antérieures. Il est différent parce que je cherche à prendre position avec beaucoup plus de clarté, à prendre des positions provocantes concernant des choses urgentes. A 75 ans, j’ai envie de dire plus de choses. Sur cet album, je choisis une façon différente de m’exprimer. Je dirais en fait que j’interroge et même fustige l’histoire de mon pays et de mon continent, pour dire toutes ces choses que j’ai gardées pour moi jusque là. J’aimerais que Palabras urgentes soit un défi lancé aux politiciens, pour qu’ils tiennent leurs promesses, ne se laissent plus corrompre par le pouvoir, pour qu’ils ne nous bernent plus. Ce disque est une invitation à construire un espace démocratique pour tous. Je chante mon indignation. Je chante aussi pour toutes ces femmes qui ont obtenu l’indépendance de l’Amérique (et dont on se souvient rarement), pour qu’elles soient reconnues. Enfin, je chante mon amour pour notre vie de tous les jours. 

Quelle chanson est la plus ancienne ? 

Dans le répertoire que j’ai choisi, il y a une très vieille chanson populaire, appelée « Negra del Alma ». On la chantait déjà avant ma naissance, c’est un huayno très populaire. La plus récente est « Sorongo », une chanson que j’ai construite en mêlant les rythmes et les paroles du Portoricain Tite Curet Alonso avec ceux du Péruvien Nicomedes Santa Cruz, en y ajoutant les paroles du poète péruvien Luis Hernández Camarero et mes mélodies… Je transmets le patrimoine musical de mon pays, un patrimoine que j’ai fait connaître dans le monde entier. 

Vous avez enregistré ce nouveau disque à San Vicente de Cañete, au sud de Lima. A quoi ressemble cette ville ?

En fait, San Vicente de Cañete est le nom de la province ; le district s’appelle San Luis et, moi, je vis dans un petit village de ce district : Santa Bárbara. Ici ont vécu les esclaves qui taillaient la canne à sucre et récoltaient le coton. Dans ces lieux, on sent l’héritage afro-péruvien et la présence des peuples amérindiens, qui ont quitté leurs régions d’origine d’abord pour fuir la famine puis pour fuir le terrorisme. On y sent aussi l’histoire des Chinois et des Japonais qui sont arrivés ici dans des conditions de quasi-esclavage, pour développer l’agriculture selon le modèle espagnol et son organisation en haciendas et autres lieux de contrôle social. Cañete est une terre très riche. La diversité culturelle de la région est peut-être la plus importante du Pérou, puisqu’elle a toutes les racines de la pérouanité. 

Voilà 50 ans que vous chantez. Vous avez énormément contribué à faire connaître la musique afro-péruvienne dans le monde. Mais, dans votre pays, leur apport culturel est-il reconnu ?

Oui, en effet, je chante depuis 55 ans et j’ai voyagé presque partout dans le monde. J’ai fait entendre notre musique, en particulier la musique afro-péruvienne, sur les plus grandes scènes. Mais, dans mon pays, le racisme persiste, comme la ségrégation envers les femmes ou la discrimination des langues indigènes. On a peur d’afficher sa façon de parler, son orientation sexuelle, on a peur d’être nous-mêmes. La capitale méprise les habitants de l’intérieur du pays. Cela s’est vu au moment de faire face à la pandémie, et maintenant lors des élections politiques. Je pensais que nous avions fait des progrès à ce sujet, mais j’avais tort. Aux dernières élections, j’ai eu l’occasion d’être membre de la Cour d’Honneur du Pacte Éthique pour les Elections et j’ai pu voir que nous étions encore malades de tout ce racisme et de toute cette ségrégation. Je le dis avec une grande tristesse.

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Écrit par
François Mauger
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