Voyageur au chômage technique, notre chroniqueur Julien Blanc-Gras a redécouvert la ville la plus touristique du monde, Paris
Je vous écris de 2020, une année assez décevante et peu prolifique en escapades. À chaque numéro d’A/R, je vous envoie une carte postale de mes voyages ici ou là. Aujourd’hui, je n’ai rien en stock. La faute aux frontières fermées et aux avions cloués au sol.
J’aurais dû vous écrire d’Éthiopie, où j’avais prévu de sillonner les hauts plateaux, de marcher sur les traces de Rimbaud et de prendre le train pour Djibouti. Bilan : walou. J’aurais dû vous écrire d’Antarctique, où je devais relater la vie des scientifiques sur les bases françaises. Ce ne sera pas pour tout de suite. Je ne verrai pas non plus le Pérou, adieu Machu Picchu.
J’ai entendu les oiseaux qui kiffaient et j’ai longé une Seine plus claire que jamais.
Soit. Faisons avec ce que nous avons sous la main. Il est une ville que certains considèrent comme la plus belle au monde et que je ne visite pas souvent, car j’y vis. Paris, deux millions d’habitants, capitale de la France et première destination touristique mondiale, s’est brusquement vidée. Chance unique de la voir comme jamais. Panama est inaccessible, à nous Paname.
Déambulations solitaires
À la faveur du confinement, je me suis lancé dans de longues expéditions pédestres à travers la ville désertée (ne me lapidez pas, mon statut de journaliste me permettait de le faire légalement). Je partais du 19e arrondissement avec comme seul objectif de me perdre sous le soleil d’avril. Quelques heures plus tard, j’errais sous les tours du 13e ou dans les rues à ministères du 7e.
Paris, deux millions d’habitants, capitale de la France et première destination touristique mondiale, s’est brusquement vidée. Chance unique de la voir comme jamais
Dans l’état second propre aux déambulations, j’ai sillonné les interstices urbains, salué les jeunes femmes lisant aux fenêtres de Ménilmontant, fouiné dans les cours intérieures du Sentier, profité de ma solitude dans le Marais. Sur les boulevards, j’ai vu les files d’attente aux supermarchés, les livreurs masqués et la police qui faisait la police. Sur l’île Saint-Louis, à l’heure du déjeuner, j’ai entendu les couverts s’entrechoquer dans un silence urbain inédit et à peine troublé par les éructations d’un clochard vitupérant contre l’absence d’humanité.
Pris d’une envie pressante, j’ai pu pisser dans les buissons des Tuileries sans choquer personne, car il n’y avait personne. J’ai lu sur les murs les slogans révoltés (« Les hommes sont des connards ») et les messages de fraternité (« Coucou les gens, vous nous manquez »). J’ai entendu les oiseaux qui kiffaient et j’ai longé une Seine plus claire que jamais.
Une fois déconfiné, je me suis adonné au tourisme. Cette grande tour en fer, la dernière fois que j’étais monté là-haut, c’était au XXe siècle. Miracle : aucune attente. En l’absence des Américains et des Chinois, j’étais en tête à tête (ou presque) avec la tour Eiffel. Paris vu d’en haut : splendeurs à tous les coins de rue.
Enivré par mon ascension solitaire, j’ai enchaîné sur le Louvre, où je n’avais pas mis les pieds depuis la victoire de Samothrace. Le musée étant dégarni, j’ai pu dériver devant Le radeau de la méduse sans être renversé par un troupeau armé de perches à selfie. Musarder solo dans les galeries égyptiennes. Caresser du regard les formes d’Aphrodite. Tomber en pâmoison devant les monumentaux taureaux androcéphales de Mésopotamie. Splendeur à tous les coins de galeries. Tout ça, c’était là, à deux pas de chez moi. C’était là, sous mes yeux.
Paris, c’est pas le Pérou. Mais c’est tout de même Paris.