« C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme », chantait un certain Renaud. Eh bien, c’est pareil avec les fleuves. Nous, le Whanganui, il nous a pris, j’me souviens un mardi. Le troisième plus long cours d’eau de Nouvelle-Zélande ne s’aborde pas comme n’importe quel vulgaire affluent. Il s’agit de l’approcher en douceur, lui parler avec respect et bienveillance tout en lui caressant l’onde dans le sens du poil. Tahi Iwikau, notre guide maori pour ces trois jours de descente en canoë, sait comment s’attirer ses bonnes grâces. Immergé jusqu’à la taille, le bonhomme se lance dans une incantation aussi vibrante qu’un haka de All Blacks, tout en s’aspergeant le haut du corps avant de conclure par un plongeon dans l’eau fraîche. La cérémonie sera-t-elle suffisante pour nous mettre les taniwha dans la poche ? Ces gardiens spirituels qui hantent les cours d’eau sous la forme de rochers, de reptiles ou de poissons géants, ne sont pas toujours très conciliants avec les humains qui s’aventurent dans les remous du fleuve. À peine un quart d’heure plus tard, agrippé avec un camarade d’infortune au canoë retourné qui file comme un bouchon dans le courant, je me dis qu’il aurait peut-être fallu pousser un peu plus loin les politesses envers ces bougres de taniwha. Seul dans son embarcation, Tahi fait la grimace. « Les gars, vous avez encore l’après-midi pour vous entraîner. Demain, les rapides seront bien plus sérieux. Après-demain, ils deviendront dangereux. » Ça promet…
Le Rhin de Nouvelle-Zélande
Le Whanganui commence son voyage sur les pentes austères du volcan Tongariro dans le cœur géothermique de « l’île fumante », creuse son lit en direction du nord-ouest avant de changer d’avis et de s’échapper vers le sud pour se jeter quelque 290 km plus loin dans la mer de Tasman. Le fleuve a longtemps été la principale route de pénétration vers l’intérieur des terres pour les Maoris qui en ont cultivé les terrasses pendant plus de 800 ans. Quand les Européens sont arrivés, ils ont à leur tour profité de cette belle voie de navigation au point de créer en 1891 un réseau de bateaux à vapeur jusqu’à Taumarunui, à plus de 180 km de l’embouchure. Toute une flottille de bateaux à roue à aubes embarquait alors son lot de touristes, commerçants, fermiers européens et maoris jusque dans les années 1920. (…)