Je t’écris de Melbourne, où un attentat vient d’avoir lieu. Un cinglé a poignardé des passants dans la rue, ôtant la vie d’un homme de 74 ans (ha, tu n’as pas l’habitude de lire des choses comme ça dans un magazine consacré au tourisme, hein ?). Le plus improbable dans cette histoire (outre le fait que des gens tuent d’autres gens au hasard), c’est que l’unique victime de ce crime aveugle dans une ville de 4,4 millions de personnes est un gars que je devais interviewer. Rest in peace, Sisto Malaspina, petit immigrant italien devenu patron du Pellegrini’s, mythique café de Bourke street. Notre rencontre n’aura pas lieu, parce que les hommes sont fous.
Je suis arrivé en ville quelques jours après l’attaque et, outre quelques hommages discrets, c’était comme si rien ne s’était passé. L’événement ne hantait pas les conversations. La relaxitude australienne, héritée du flegme britannique, avait repris le dessus. Melbourne est connue pour être la ville la plus cool du monde et ça se voit. Chaque année ou presque, le classement de The Economist, la place en tête sur la qualité de vie. Le tram gratuit, la mer à portée de main, les parcs immenses, la tranquillité (hors attentat) ET l’animation (des concerts tout le temps). La prospérité et l’effervescence culturelle. Oui, Melbourne est la ville idéale. C’est en tout cas la plus fréquentable qu’il m’ait été donné de voir (et crois-moi coco, j’en ai vues, des villes). Suffisamment grande pour être anonyme, pas assez gigantesque pour être inhumaine. On s’accommode facilement de son énergie paisible, de son insouciance juvénile.
Il y règne un melting-pot harmonieux, que le terrorisme ne parvient pas à écorner sérieusement. J’ai rencontré une scientifique qui sauvait les koalas (origine anglaise), une rockeuse rigolote (origine grecque), un hipster tatoué (origine sri-lankaise), des frères restaurateurs (origine libanaise), des chauffeurs Uber (origine éthiopienne) and many more : tout le monde est fier de venir d’ailleurs et de vivre ici. Tous enfants d’immigrés – bon, à part les aborigènes qui sont là depuis 40 000 ans et se sont fait dépouiller de leur terre par une poignée de bagnards britanniques et de chercheurs d’or dont les descendants s’excusent aujourd’hui pour les horreurs du passé (résumé, certes un peu réducteur, de l’histoire australienne). J’ai rencontré un présentateur de télé aborigène qui portait un costard et un boomerang. Il m’a parlé de la misère sociale d’une partie de sa communauté, tout en refusant de s’enfermer dans le misérabilisme. Il avait foi en l’avenir. Je ne cherche pas à idéaliser le tableau, il y a des problèmes à Melbourne comme ailleurs. Mais moins qu’ailleurs.
J’avais un peu de travail, je suis resté trois semaines, à sillonner les innombrables cafés, à pagayer sur la rivière Yarra, à flâner, serein, dans un printemps de novembre. Puis je suis rentré chez moi, en automne, dans un pays en phase insurrectionnelle. Le premier jour, j’ai pris le métro payant, un clochard menaçait les voyageurs en beuglant sa haine de l’humanité. Le vent qui s’engouffrait dans les couloirs était glacial. J’ai mis mon casque sur les oreilles et je suis redevenu un connard de Parisien.
Plus d’info : https://www.visitmelbourne.com/
© BMcIvr – Flickr Creative Commons