Une fois par mois, l’Aranui 3 quitte le port de Tahiti pour ravitailler l’archipel des Marquises. À bord du cargo, près de cinq mille tonnes de marchandises et quelque deux cents passagers, essentiellement des touristes. Cap sur ces îles enchanteresses égarées au bout du monde.
Dans le port de Papeete, les valises sont alignées sur le quai. Étiquetées, elles vont bientôt rejoindre les cabines des passagers. Les familles des marins agitent les mains pour un dernier au revoir tandis que l’Aranui 3 lève l’ancre au son d’une bruyante corne de brume. Après plus d’une vingtaine d’années de service à bord, Tino, un solide Marquisien tatoué comme il se doit, éprouve toujours la même émotion à l’heure du départ. Pour lui, la traversée de 1400 km est toujours trop longue. « Dès que je vois les pics de Ua Pou, je ressens les énergies des Marquises. C’est le retour à l’harmonie, à la nature, aux oiseaux…, au pays des ancêtres. »
Oh mon bateau !
Douze escales sont prévues pour approvisionner les six îles habitées de l’archipel en passant à l’aller et au retour par un atoll des Tuamotu. L’Aranui étant le seul cargo à faire l’effort de se rendre jusque-là, il est attendu comme Grouchy à Waterloo, Justin Bieber à Bercy, Snowden à Washington.
« Aranui 3, c’est la pirogue qui fait le lien avec Papeete et le reste du monde », explique Joseph Kaiha, maire de Ua Pou depuis 2001. À chaque escale, des files d’attente s’étirent sur le quai. Une fois le déchargement terminé, des villageois, bons de commande à la main, viennent récupérer leurs colis commandés à Papeete, d’autres livrent leur production de fruits ou de coprah ou bien accueillent les passagers bien contents de descendre à terre. Passer d’une Marquise à l’autre leur semble naturel or ils doivent ce privilège à la décision de la compagnie maritime de rentabiliser sa tournée. Le coprah ne faisant plus recette, il vaut mieux se tourner vers le tourisme pour remplir les caisses. C’est ainsi que l’Aranui1, après une succincte transformation, put accueillir ses premiers clients. Tino qui faisait partie de l’aventure s’en souvient bien : « En 1985, sur l’Aranui1, il y avait 35 passagers maximum. Un tourisme »babacool » qui fonctionnait par le bouche-à-oreille et un peu de pub. » (…)