Du côté du fjord d’Ammassalik, la très sauvage côte est du Groenland affiche toute la sobriété des hautes latitudes. À l’occasion d’un cabotage entre rochers et glaçons, les communautés de pêcheurs témoignent des conditions de vie originales du petit peuple du Froid.
« No flushing toilets after this point » nous annonce, un poil menaçant, un panneau de l’hôtel Arctic Wonderland. À moins de 200 m de l’aérodrome de Kulusuk, la chasse d’eau, fleuron de la civilisation occidentale, prend son congé et renonce à investir la sauvagerie glacée de la côte Est du Groenland. Au détour d’une congère, le long de la piste qui conduit au village, une longue caisse en contreplaqué patiente au milieu d’une forêt de petites croix blanches. Le cercueil – car c’en est un – ainsi que son locataire devront patienter jusqu’au plein été pour trouver leur dernière demeure. Ici, la terre gelée se refuse aux enterrements. Voici enfin la côte et ses morceaux de banquise qui font comme un semi de polystyrène émietté flottant sur l’eau sombre. Sous un ciel d’acrylique, gris uniforme et dépoli, une volée de bicoques peinturlurées de couleurs chaudes s’égaille sur un littoral cabossé par les glaciers. Enchaînés à chacune d’elles, deux ou trois molosses aux yeux éteints attendent l’hiver en se grattant l’oreille ou en se léchant les pattes. « N’approchez pas trop des chiens, on ne sait pas trop s’ils sont nourris ou non ! » prévient sans rire le guide Einar. (…)