À trois miles nautiques des côtes du Morbihan flotte un caillou incrusté de chapelles et serti de plages blondes. Sur Groix, les thons remplacent les coqs à la pointe des clochers, les chemins ne mènent pas à Rome, mais se perdent dans la lande et les canots ― prononcer « canote » ― se mènent toujours à la godille.
À Groix, les départs sont peut-être plus émouvants que les arrivées. Lorsque la navette qui fait la liaison entre l’île et Lorient quitte le bassin de Port-Tudy au prix d’une manœuvre qu’on n’oserait même pas tenter à bord d’un pédalo, les gens qui restent éparpillés sur les quais, font de grands moulinets avec les bras et pleurent le départ des malheureux contraints de réintégrer le tourbillon de la vie continentale. Certains vont jusqu’à grimper sur les bittes d’amarrage et se mettent à battre des ailes comme s’ils voulaient décoller dans cet air breton gonflé d’impalpables voilures. Une prétention qui ne manque pas de faire glousser les goélands. Le navire s’éloigne avec son chargement de damnés en route vers leur purgatoire de cités putrides et d’emplois du temps congestionnés. À moins que ça ne soit Groix elle-même qui ait largué les amarres et gagne le large, loin des embardées et des coups de roulis d’un monde frénétique. (…)
Photographe : Christophe Migeon