Mururoa mon amour
Pour la plupart des Mangaréviens, les fissures qui lézardent certains murs de la cathédrale ne sont pas dues seulement au temps qui passe ou au temps qu’il fait. De 1966 à 1974, la France procède à 46 essais nucléaires aériens sur l’atoll de Mururoa, à seulement 500 km au nord-ouest des îles Gambier. Le vent des atomes attise les braises de l’inquiétude et de l’angoisse : la ciguatera qui empoisonne les poissons du lagon, les altérations des bâtiments, le temps qui a changé, la baisse des précipitations… les explosions ont au moins le mérite d’offrir une explication simple à tous ces événements énigmatiques.
« La population à qui l’État n’a pas tout dit a échafaudé tout un tas de croyances et de superstitions autour du nucléaire » explique Gilles Cournée, le médecin de l’archipel, « Mais pour moi une chose est sûre : les retombées des essais atmosphériques ont eu des conséquences sur la santé des gens. Je vois ici des pathologies que je n’ai jamais observées en métropole, des cancers de l’endomètre, des goitres, tout un tas de problèmes de thyroïde… » Gilles qui était avec son père gendarme sur Mangareva de 1968 à 1972 se souvient avec émotion des jours d’essai. « Mon père qui connaissait l’heure de l’explosion prédisait le tremblement des vitres de la maison. J’étais béat d’admiration. Des copains racontent être montés au sommet de Mont Duff et avoir aperçu l’éclair de l’explosion. Moi, je ne me souviens que d’un grand bruit de tonnerre. Quand le vent venait de l’ouest, toute la population se dirigeait vers un abri qu’on appelait le « blockhaus ». C’était en fait un simple gymnase en parpaings et en tôle ondulée qui était arrosé d’eau de mer.
Pour nous, gamins, c’était jour de fête, nous n’allions pas à l’école. On y restait quelques heures parfois une journée entière. Une fois, en rentrant chez nous, j’ai vu avec mon frère un « cosmonaute » avec sa combinaison et un drôle d’appareil dans le jardin. Nous étions sortis trop tôt et ce militaire qui faisait des mesures de radioactivité a dit à ma mère de ne pas nous laisser jouer dans le jardin tant qu’il n’y aurait pas de grosses pluies. » Bruno Barrilot, ancien directeur de l’observatoire des armements, aujourd’hui délégué pour le suivi des conséquences des essais nucléaires pour le compte du gouvernement polynésien, le confirme : les retombées nucléaires dépassaient largement les doses admissibles et ont eu un réel impact sanitaire. Le taux de cancer de la thyroïde est dix fois plus élevé en Polynésie.
Les Gambier, un coin de paradis
Pas de quoi vraiment inquiéter l’ancien adjudant-chef Yves Scanzi qui, marié à une fille du pays, écoule une retraite heureuse aux Gambier. L’ancien légionnaire, carré d’idées comme de corps, tanné comme un tambour qui aurait livré mille batailles, raconte son expérience mururoenne dans une langue gauloise et virile. « Quand t’as le bordel qui pète sous tes pieds, tu te sens vraiment tout petit. Tout l’atoll bouge. Tout le monde se regarde en se demandant si le bazar ne va pas sauter. Des radiations, bien sûr qu’il y en a eu, pas qu’aux Gambier. Papeete, les Marquises… toute la Polynésie a reçu. Mais les gens étaient bien contents de toucher les nucléo-dollars, alors c’est un peu facile maintenant de venir pleurer ! »
Il est vrai que la France a grassement payé la paix nucléaire en Polynésie. Une manne financière inespérée pour ces îles du bout du monde, mais qui très inégalement répartie – et souvent détournée ! – a gravement perturbé l’équilibre de la société polynésienne. Notre adjudant marche du pas dégagé de l’homme satisfait de son destin. Du bout d’un promontoire couvert de filaos, Yves Scanzi contemple son domaine : des terres posées sur l’eau, des arbres qui ébrouent leur chevelure chlorophylle sous l’alizé, la sombre silhouette d’un mérou en maraude sur le platier, la caresse d’une raie-léopard à la surface du lagon. « Vous irez peut-être au paradis, mais vous serez mort. Moi, je suis au paradis tous les jours et bien vivant ! Impossible de s’ennuyer ici. Quand je me fais chier, je prends ma voiture. Ou ma moto. Ou alors mon bateau. Et si je me fais encore chier, alors je vais chasser le cochon sur l’île de ma femme. J’ai frôlé la Grande Faucheuse un peu trop souvent. Apparemment, le Grand Barbu veille sur moi et s’il me donne encore 40 ans de vie, ce ne sera que du bonheur. »
Dieu est partout, mais sans doute traîne-t-il un peu plus du côté des Gambier…
Il faut croire que la fréquentation de décors paradisiaques contribue grandement au bonheur. Hervé Thuihani a décidé de pousser le curseur de la sérénité encore plus loin en s’installant avec sa compagne Valérie et son fils Alan sur l’île de Taravai, à 20 min de barque à moteur de Mangareva. À l’exception d’un couple de Français vivant reclus derrière leurs filaos, ce sont les seuls habitants de l’île. Un ruban de sable blond devant lequel Hervé amarre son bateau, une pelouse d’un vert généreux planté d’hibiscus aux fleurs safran, une cuve pour récupérer l’eau de pluie, une maison neuve sertie d’une armada de panneaux solaires alimentant le congélateur et la télé à écran plat… une robinsonnade tout confort ! Derrière la maison, à côté du verger qui donne des pêches à peine plus grosses qu’un dé à coudre, Hervé a conservé la cabane en tôle rouillée dans laquelle il a grandi pendant dix ans. Comme son père travaillait à Mururoa, ses grands-parents qui habitaient Taravai l’ont élevé. Une jeunesse toute remplie des baguenaudes dans le maquis touffu de la montagne, des longues traques à la carangue ou au perroquet, pieds dans l’eau et harpon à la main, des heures passées à écouter le vent, à écouter la mer.
« À 18 ans, j’ai dû revenir à Mangareva pour rentrer en 6e. J’ai fait ensuite plusieurs petits boulots, notamment plongeur chez un perliculteur, mais pendant tout ce temps, j’avais envie de revenir vivre ici. Mes oncles et mes cousins vivent tous ensemble dans une seule maison à Mangareva. Ils étaient persuadés qu’on ne pourrait pas s’habituer à notre nouvelle vie et qu’on reviendrait vite. Maintenant, je pense qu’ils sont plutôt jaloux ! » À deux jets de pierre du jardin où Alan fait des roues arrière avec son VTT, le soleil opiniâtre continue d’écailler les vieux murs de l’église Saint Gabriel. Une fois par mois, un prêtre vient spécialement pour y tenir une messe, accompagné parfois de fidèles de Mangareva. Mais Valérie et Hervé n’y vont plus. « Nous, on attend que les travaux de la cathédrale soient finis pour se marier, mais la messe, non, ça ne nous dit plus rien. De toute façon, pas besoin d’aller à l’église pour prier, Dieu est partout ! » Oui, Dieu est partout, mais sans doute traîne-t-il un peu plus du côté des Gambier…
Îles Gambier, côte pratique
Se rendre aux Gambier
Vol Air Tahiti Nui de Paris à Papeete quotidien en haute saison, 3 à 5 par semaine en basse saison, 21 h de vol environ avec une escale à Los Angeles, à partir de 1 539 €. fr.airtahitinui.com. Puis vol Papeete-Mangareva (4 h) avec Air Tahiti autour de 600 € l’A/R : www.airtahitinui.com
Quand y aller ?
Il n’y a pas de grands contrastes saisonniers même si on parle d’une saison chaude de décembre à mars et d’une saison fraîche de juin à septembre. Il y a en revanche de grandes différences de prix sur les billets d’avion qui atteignent des sommets notamment aux périodes de fêtes de fin d’année et de grandes vacances.
À savoir avant de partir
+12 h de décalage horaire
La devise est le Franc pacifique. 1 € = 119 CFP (taux fixe)
Les USA (escale à Los Angeles) exigent un ESTA (14 USD) à obtenir sur la toile avant le départ.
L’hébergement
La petite hôtellerie familiale est l’une des formes d’hébergement les plus répandues en Polynésie.
Pension Bianca & Benoît, 4 bungalows et 3 chambres. 18 040 CFP (150 €) pour 2 personnes en ½ pension. www.chezbiancaetbenoit.pf
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