L’alpiniste Sophie Lavaud détient les nationalités française, suisse et canadienne. Ça fait trois. Déjà une belle collection, mais qui ne pèse pas lourd face à celle des quatorze sommets de plus de 8 000 mètres qu’elle a vaincus en Himalaya entre 2012 et 2023. Prenons un peu de hauteur en sa compagnie.


Tu es la première personne française, suisse ou canadienne à avoir réussi cet exploit, alors que des alpinistes plus chevronnés que toi ont échoué. Pourquoi ?
Pourquoi moi et pas l’autre ? Peut-être parce qu’au début, je n’ai pas escaladé ces sommets dans le but de décrocher un record. C’était plutôt une quête personnelle avec au fond de moi l’idée que je n’en étais pas capable. C’est venu petit à petit, à force de beaucoup de travail et d’implication. Cette attitude m’a permis de renoncer plus facilement en cas de difficulté et donc de rester en vie.
Le problème avec les 8 000, c’est comme les cacahuètes, il ne faut jamais commencer.
Oui, c’est une citation d’Erhard Loretan, une figure en Suisse. Il est le troisième homme à avoir gravi les 14 sommets les plus hauts de la planète. C’est vraiment quelqu’un que j’admire, avec un style très épuré et des aptitudes physiques hors normes. Je préfère l’image des cacahuètes à celle de la drogue, parce que souvent, on parle d’addiction. Les cacahuètes, c’est plus sympa !
Combien de temps as-tu vécu à plus de 5 000 m sachant qu’il t’a fallu réaliser 22 ascensions pour réussir cette collection des 8 000 ?
J’ai fait ce petit calcul et je peux dire que j’ai passé plus de trois ans sous tente au-dessus de 5000 mètres. Avis aux amateurs. La leçon qu’il faut en retirer, c’est qu’il faut oser. Même si on ne se sent pas capable de vivre ses rêves, avec de la persévérance, on peut y arriver. C’est ce message que j’ai envie de transmettre. Surtout aux femmes, parce que je pense qu’on se met beaucoup plus de barrières et qu’on est plus contrainte par le quotidien.

Au fond, pourquoi monter si souvent à cette altitude pour les humains ?
C’est vrai qu’on ne peut pas survivre à 8000 mètres, mais j’aime le monde de l’expédition. Cet éloge du temps long, les marches d’approche, la vie au camp de base, la stratégie d’ascension en fonction de la météo, l’hypoxie, cet état second que produisent la très haute altitude, la phase d’acclimatation, l’effort qu’il faut fournir pour grimper. Il n’y a que dans l’Himalaya où on peut avoir cette immersion complète pendant plusieurs semaines. J’adore grimper dans les Alpes, mais on fait un 4 000 et deux jours après, on est de nouveau sous sa couette à la maison. Il n’y a pas cette notion d’immersion que j’aime tant.
La surfréquentation de l’Everest alimente un débat autour du tourisme d’altitude. Qu’en penses-tu ?
Je n’aime pas ce terme parce que ce n’est pas du tourisme du tout. Si on n’est pas bien préparé, on n’arrivera pas au sommet, quel que soit l’argent que l’on met sur la table. Il faut séparer l’Everest, très convoité, du reste de l’Himalaya. C’est vrai qu’il y a 500 prétendants chaque année, mais le Mont-Blanc par exemple, c’est 20 000, alors il faut relativiser.
Cet entretien est à retrouver dans son intégralité dans le AR N°69, disponible en kiosque et sur notre boutique.
