Louis Chedid : il se fait toujours la belle - A/R Magazine voyageur 2020

Louis Chedid : il se fait toujours la belle

À 72 ans, Louis Chedid publie un nouveau disque printanier, « Tout ce qu’on veut dans la vie » : onze chansons humanistes qui évoquent, sans trop les juger, nos vies agitées. L’occasion de faire un bout de chemin en compagnie de l’un des plus habiles artisans de la chanson française, avant qu’il ne reparte en tournée.

Sur l’un des titres de ce nouvel album, vous chantez le refrain qui vient juste après est «Aimer, aimer, aimer». L’amour, c’est le plus grand des voyages ?

Oh, oui, ça c’est sûr. Je pense qu’il n’y a pas de plus grande aventure. Aimer vous élève. Mais je ne parle pas obligatoirement d’aimer un être humain. On peut aimer le travail qu’on fait, aimer la musique… Quand vous êtes dans cet état, vous vous sentez des ailes, vous vous sentez en apesanteur.

Il faut aimer pour réussir un voyage ?

Bien sûr! En fait, en amour, comme en voyage, ce qui compte, c’est la découverte. Quand on rencontre quelqu’un et qu’on a un coup de foudre, c’est parce qu’on découvre des choses, qu’on perçoit des vibrations qui ne sont pas ordinaires. Tout d’un coup, vous avez l’impression de vivre autrement. Le voyage, c’est la même chose. Si les gens ou le paysage vous laissent froid, c’est un coït interrompu… Au contraire, quand, par exemple, je suis arrivé en Inde, je me suis tout de suite senti très bien. Rencontrer des gens différents, qui sont beaucoup moins matérialistes que vous, qui n’ont pas la même apparence, ça vous ouvre l’esprit. J’ai eu un coup de cœur pour ces gens, j’aime leurs visages, la beauté de leurs regards. Les Indiens sont très dignes. Les femmes indiennes sont toujours très bien habillées. Il y a plein de couleurs partout. C’est dément, ce foisonnement. En Inde, c’est simple, vous sortez un appareil photo, vous appuyez sur le déclencheur sans même regarder et vous avez une belle photo. Il y a une espèce de puissance, comme ça, qui n’existe plus chez nous, un truc très fort… Les Indiens sont très spirituels, ils prient au moins trois fois par jour. Il y a des temples partout. Ils n’ont pas un rond, mais les quelques roupies qu’ils économisent, ils les consacrent à la construction de temples. En fait, tout est pourri, sauf les temples, qui sont repeints chaque année.

Voyager en Inde vous a changé ?

Ah, oui. Sur tous les plans. Musicalement aussi ! À côté des musiciens indiens, on est des rigolos. On a des tons, des demi-tons et on ne va pas plus loin. Eux ont des huitièmes de ton, des seizièmes de ton. Chez eux, c’est très profond, la musique et le chant passent par l’esprit. Dans leurs comédies musicales, personne ne s’embrassait sur la bouche. Aujourd’hui, ils deviennent plus polissons. Ils font des films destinés au reste du monde. Quand on sait que l’Amérique nous a mis dans sa poche avec les westerns, ça fait réfléchir…

On n’entend pas de musique indienne sur votre nouvel album, mais, par moments, des inflexions latines. Votre goût pour les musiques latines vous a-t-il amené à aller voir d’où elles venaient ?

La première chanson du disque, Si j’avais su, est effectivement imprégnée de rumba catalane et de flamenco. Je trouve les Espagnols très sympas, très ouverts et, surtout, j’aime beaucoup la musique gitane, du flamenco à Django Reinhardt. Cette musique crée un lien entre de nombreux pays, un lien qui, d’ailleurs, part de l’Inde… Le flamenco gitan est souvent déchirant, à la fois expressionniste et enlevé. J’aime ce paradoxe entre la musique et ce qu’elle raconte.

La famille a joué et joue toujours un très grand rôle dans votre vie. Avez-vous essayé de remonter votre arbre généalogique et notamment de retourner en Égypte, où vous êtes né ?

Quand je suis arrivé en France, je n’avais que six mois. J’ai attendu d’avoir 25 ou 26 ans pour aller en Égypte. Comme mes parents disaient que Le Caire avait beaucoup changé, je craignais d’être déçu. Mais, là, pareil : j’ai posé le pied à l’aéroport et je me suis senti complètement chez moi. Mon lien à l’Égypte est une question de gènes, vous ne pouvez pas l’expliquer, ce sont les racines qui remontent… Je suis allé voir les endroits dont mes parents me parlaient. Je suis même allé voir une vieille tante.

Le Caire doit être à la fois infernal et fascinant…

Exactement. Comme Calcutta ou Bombay… La démographie du Caire, c’est de la folie. Il y a beaucoup de gens et pas beaucoup de travail. Tous les gens qui habitaient dans les campagnes sont venus s’y installer. Quand on arrivait de l’aéroport, on voyait ces familles qui vivaient dans les cimetières. Malgré tout, j’ai adoré ce pays, qui est incroyable, à tous les niveaux : architectural, humain… Le voyage, c’est ça : le plaisir de sortir de son contexte, de se retrouver dans un univers qui n’a rien à voir avec vous. On s’habitue trop vite à rester chez soi.

Être là, pour vous, c’est faire des allers- retours entre Paris et votre maison dans le Lubéron. Qu’est-ce qui vous retient sur ces collines provençales? Les odeurs de lavande? Le chant des ruisseaux ? Le goût de la pétanque ?

C’est d’abord l’enfance. Quand j’étais petit, mes parents avaient une maison à côté d’Aix-en-Provence qui s’appelait « Bouc-Bel-Air ». J’y ai passé toutes mes vacances, entre 7 et 12 ans. Comme j’avais une scolarité un petit peu compliquée, pour ne pas dire nulle, les trois mois de vacances étaient une libération. Aller en Provence, c’était une bouffée d’air pur. Quand mes parents ont dû revendre cette maison, pour nous les enfants, ça a été un crève-cœur. Par la suite, chaque fois que je passais par la Provence, je me disais «Il faut absolument que je me trouve un truc là». Et j’ai trouvé cet endroit que j’adore. J’adore les odeurs et les sons de la Provence. Les cigales, par exemple, les grillons, voire les grenouilles qui coassent en pleine nuit au bord de la piscine du voisin. Et les gens, leur accent. J’adore la faconde méditerranéenne. Il y a toute une ambiance en Provence qui ne se perd pas vraiment.

Votre album fourmille d’invitations à rompre avec nos habitudes. Sur la chanson Redevenir un être humain, on trouve notamment ces deux vers : « Chérir chaque jour/La beauté qui nous entoure ». Le dépaysement n’est-il pas l’un des moyens les plus sûrs d’appliquer cette philosophie ?

Si, absolument ! D’abord, on rouvre les yeux. Ensuite, on relativise. Quand on se balade à droite ou à gauche, sans même avoir besoin d’aller très loin, on se rend vite compte qu’on habite dans un pays qui a – on est obligé de le dire – quelques défauts, mais qui est, pour le reste, exceptionnel. Aller voir comment les gens vivent ailleurs, noter les différences architecturales, les différences de mentalités, constater la ferveur spirituelle des habitants ou au contraire leur côté terre à terre, beaucoup moins protecteur… C’est pour tout cela que j’aime voyager, mais aussi pour tout cela qu’après avoir voyagé, j’aime revenir ici.

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Écrit par
François Mauger
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