Dans la Sierra Nevada de Santa Marta, les vestiges précolombiens d’un village Tayrona retrouvés par hasard dans les années 70 sont aujourd’hui l’objet d’un fameux circuit de randonnée au cœur d’une forêt qui fut naguère le théâtre de luttes acharnées et d’obscurs trafics. Ce trekking, véritablement initiatique, est l’occasion de retrouver les acteurs de ces années mouvementées, de traverser à gué des rivières irascibles, de marcher dans la bouillasse, pour pénétrer enfin un monde hors du temps et loin de l’homme blanc.
Une glaise rougeâtre, pétrie par les sabots des mules, malaxée par les semelles des randonneurs, qui lorsque les pieds s’en extirpent, fait d’obscènes bruits de succion. Ce matin, le sentier semble aussi engorgé qu’un foie d’ivrogne. Comme il ne cesse de louvoyer et de traverser des bras de rivière, on prend soin dans un premier temps, de retirer ses godillots ainsi que ses chaussettes avant d’aller barboter dans le courant. Alors, avec des gestes de bergère effarouchée, on pose ses pieds de citadin aussi tendres qu’un morceau de rumsteck sur les cailloux pointus de la rivière. Quelques cours d’eau plus loin, après avoir manqué de s’ouvrir la plante des pieds et de glisser sur des dalles sournoises, on renonce définitivement au bien-être de ses orteils. Pourtant, à l’heure du départ, au hameau de Machete Pelao, alors que le ciel menaçait de vomir un flot liquide et vengeur, chacun s’était investi dans une fébrile opération « étanchéité ». (…)
Photographe : Christophe Migeon