Oubliez vos habituelles playlists Spotify ou Deezer et profitez du confinement pour ouvrir vos oreilles à d’autres artistes. François Mauger nous propose son carnet sonore du printemps. Au programme : un oasis musical qui raconte des histoires venues d’Argentine, un orkesta mexicain qui ne manque pas de charme ou encore la belle voix de Macha Gharibian qui reprend « 50 façons de quitter son amant »… A écouter chez vous avant le 11 mai !
1- Melingo : « Oasis » (Buda Musique)
Pour Melingo, le tango est plus qu’un genre musical : c’est un état d’esprit, un art total qu’il incarne de toute sa personne, des bosses de son chapeau à la pointe de ses chaussures, de son accent longuement travaillé à sa gestuelle expressionniste. Ses chansons désinvoltes et dessalées racontent l’histoire du petit peuple de Buenos Aires autant que la sienne, ou celle de sa famille aux origines méditerranéennes. Conclusion d’un triptyque initié en 2014, son Oasis n’est pas un terminus mais au contraire une porte ouverte sur l’univers d’un artiste en mouvement.
Un avant-goût…
2- Orkesta Mendoza : « Curandero » (Glitterbeat)
Les frontières, Curandero n’en a cure. De toute façon, Sergio Mendoza, son concepteur, a toujours joué avec elles. Même s’il est passé par la case Calexico, légendaire groupe de rock de Tucson, le guitariste n’a jamais oublié son adolescence dans la partie mexicaine de Nogales. Les cumbias, les rancheras et les boogalos qu’il écoutait alors lui sont revenues en mémoire au moment de former son propre « orkesta » et d’enregistrer ce disque joueur et jovial. Rythmes roublards, guitares taquines, refrains malins… Une irrésistible invitation à jouer à saute-frontière !
Un avant-goût…
3- Macha Gharibian : « Joy ascension » (Meredith Records)
Dès les premières secondes, tandis que les cordes d’une contrebasse s’étirent et vibrent, une belle voix mate s’élève et sinue avec un sens de la mélodie qui rappelle par moments celui de Joni Mitchell. L’écoute de la suite appelle des dizaines d’autres comparaisons, toutes aussi flatteuses. Pourtant, avec son jeu de piano obsédant et ses références à l’Arménie de ses ancêtres, cette jeune Française impose vite son propre univers. Reprenant Paul Simon, elle chante qu’il doit y avoir « 50 façons de quitter son amant ». On n’en connaît aucune de ne pas aimer ce disque…
Un avant-goût…
4- Philo & les voix du tambour : « Landzifou » (Aztec Musique)
La Martinique ne se réduit pas à une poignée de plages paradisiaques. L’île a sa vie secrète, ses refuges peu fréquentés. L’Anse Dufour en est un. Ce petit port de pêche blotti au pied du morne Bigot, au sud-ouest de l’île, a longtemps été coupé de l’agitation de Fort-de-France ou de Saint-Pierre. Au début des années 80, Philippe Gouyer-Montout y a grandi sans électricité ni eau courante mais dans une rare abondance de musique. Depuis cette enfance fertile, il fait circuler à travers l’hexagone le bèlè, le rythme emblématique de son île, qu’il enrichit d’appels de conques, d’emprunts au jazz et de clins d’œils appuyés à l’afro-beat de feu Fela Kuti. Parrainé par deux des figures majeures de l’ « île aux fleurs », le flûtiste Dédé Saint-Prix et le pianiste Mario Canonge, le premier album de Philo est percutant et passionnant. 8 titres militants et dansants, profondément ancrés dans la réalité martiniquaise mais qui parlent à tous. La vie secrète de la Martinique est là, à portée de main !
Un avant-goût…
5- Quintet Bumbac : « Miroirs » (Collectif Cok Malko)
Leur premier album avait été un éblouissement : une heure entière de cavalcades instrumentales, façon violons sur un toit brûlant… Trois ans plus tard, les cinq virtuoses du Quintet Bumbac reprennent leurs pérégrinations imaginaires dans les Balkans. La tête encore pleine de souvenirs de rencontres faites en Roumanie, le violoniste David Brossier a composé 16 nouveaux thèmes pénétrants que ses complices (Ariane Cohen-Adad au violon et à l’alto, Christian Fromentin au violon, Léonore Grollemund au violoncelle, Anita Pardo à la contrebasse) interprètent avec l’élégance d’un orchestre de chambre. Hélas, la surprise est moindre qu’à leurs débuts. Dans les « Miroirs » où ils se contemplent désormais, les mouvements des musiciens semblent plus prévisibles, leur fougue moins impressionnante. Le Quintet Bumbac reste l’un des ensembles les plus novateurs dans son genre mais, quoi que l’on fasse, le miracle de la première fois n’arrive jamais deux fois.
Un avant-goût…
6- Carmen Souza : « The Silver Messengers » (Galileo)
Son père s’appelait « Silva », lui a fait carrière sous le nom de « Silver ». Après-guerre, le jazzman Horace Silver a été l’un des héros du hard bop, aux côtés d’Art Blakey, de Donald Byrd ou du jeune Miles Davis mais il n’a jamais oublié ses racines capverdiennes, notamment célébrées dans un classique de 1965, « The Cape Verdean Blues ». La chanteuse Carmen Souza lui rend hommage sur ce disque fantasque où sa voix de caméléon passe en un souffle de l’anglais au créole ou du miaulement au rugissement. Rajeunies, parfois dotées de nouvelles paroles, les compositions d’Horace Silver sont également réarrangées, avec un sens du rythme et une énergie qui forcent l’admiration. Les originaux des années 50, 60 et 70 méritaient déjà amplement l’écoute ; ces versions truffées de références au répertoire capverdien leur offrent une nouvelle audience.
Un avant-goût…
7- David Walters : « Soleil kréyol » (Heavenly sweetness)
Associer les termes « musique » et « ensoleillée » est le plus souvent un cliché facile, un poncif qui associe injustement les pays chauds à une bonne humeur éternelle, aussi mensongère que le sourire du tirailleur sur les pots de Banania. Cette fois, pourtant un titre d’album nous y invite, nous y oblige presque. A raison : le disque que le Martiniquais David Walters a enregistré à New York dégage une chaleur peu commune. Son créole grésille sur un lit de guitares caniculaires et de beats incandescents. Les refrains chaleureux succèdent aux riffs enflammés. Soul, funk, reggae-dub ou kompa haïtien bouillonnent dans la marmite. Tout feu, tout flamme, « Soleil kréyol », c’est l’éternel été sur la platine.
Un avant-goût…
8- Baï Kamara Jr & the Voodoo Sniffers : « Salone » (Moosicus)
Longtemps, Baï Kamara n’a été qu’un nom découvert au hasard des premières pages de « Salone », un nom sans grande signification qui ouvrait un roman pourtant éloquent de Laurent Bonnet, consacré à l’histoire récente de la Sierra Leone. Ce nom vient de prendre tout son sens grâce à la parution de ce deuxième « Salone », discographique cette fois. Baï Kamara Jr est en effet un musicien d’origine sierra-léonaise qui a étudié en Grande-Bretagne avant de s’installer en Belgique. Il évoque d’ailleurs l’exil et l’envie de goûter « les fruits des arbres qu’il a plantés enfant » sur le touchant Homecoming. Mais, s’il est parsemé de percussions africaines, son album est avant tout un authentique disque de blues. Le meilleur qui nous soit parvenu de Sierra Leone, c’est certain, mais aussi l’un des plus plus magnétiques parus ces derniers mois, toutes nationalités confondues. A ranger tout au sommet de la pile, entre les œuvres complètes des deux ancêtres que Baï Kamara vénère, Big Bill Bronzy et John Lee Hooker, mais pas loin des romans de Laurent Bonnet…
Un avant-goût…