Durant l’été 1931, un type venu de nulle part en canoë construit une cabane en rondins dans le sud d’Aklavik au cœur du delta du fleuve MacKenzie. Peut-être était-ce un de ces chômeurs américains mis sur la paille par le krach boursier et fatigué de se voir claquer la porte des usines au nez. On ne l’a jamais su. En décembre, il démonte des lignes de trappe posées par des Indiens Gwich’in qui avaient l’habitude de chasser dans le coin. Les gars se plaignent à la police montée et le 31, deux officiers viennent frapper à la porte du contrevenant. Celui-ci, sans doute mal réveillé, tire à travers la porte en guise de réponse et blesse l’un des deux policiers. Fin du premier acte. Une semaine plus tard, alors que l’hiver a commencé les hostilités avec un – 40 °C bien senti, une demi-douzaine de « Monties » encerclent la maison pour arrêter Albert Johnson (entre-temps on a fini par trouver son nom) qui, toujours aussi mal embouché, ne trouve rien de mieux que de leur tirer dessus. Pendant quinze heures la police fait un carton sur la cabane, sans aucun succès, et excédée finit par balancer plusieurs bâtons de dynamite. Rien à faire, les rondins explosent, mais l’inoxydable forcené continue de les canarder. Les assaillants épuisés par le froid finissent par décamper. Ils reviennent 8 jours plus tard, mais l’oiseau n’est plus au nid. Commence alors une formidable traque relayée par la presse qui va tenir en haleine toute l’Amérique du Nord pendant un mois et demi ! Mais de quel métal était donc fait cet Albert Johnson ? Avec seulement ses pauvres vêtements sur le dos, sans aucune provision, mais avec ses trois fusils, ce type va affronter des températures de – 60 °C, trompant sa faim en boulottant quelques écureuils, se réchauffant avec des feux minuscules creusés dans la neige, tout cela avec la police montée au derrière. Il est repéré le 30 janvier 1932, tue un policier, parvient encore à s’échapper, feinte ses poursuivants en portant ses raquettes à l’envers, se mêle à un troupeau de caribous, parcourt 145 km dans le blizzard en seulement trois jours et passe un col jugé infranchissable par un temps pareil. Il faudra finalement un avion pour le repérer à seulement une centaine de kilomètres de la frontière avec l’Alaska… et de la liberté. Truffé de balles, il trouve encore le moyen de tuer un de ses assaillants ! Quel dommage que ce phénomène n’ait pas été un peu plus sociable, on en aurait fait un champion olympique. Je l’aurais bien vu sur le podium du biathlon… (…)
Photographe : Christophe Migeon