Dites-moi où, n’en quel pays, on trouve à foison de quoi faire bonne chère et grande fête ? Dites-moi où, n’en quel pays, il suffit de se baisser pour ramasser truffes, champignons, ballons de forme oblongue pour jouer à quinze, dites-moi où, n’en quel pays aux villages de pierre blonde, l’on a l’impression de passer sa vie en vacances. Dans le pays de Brive-la-Gaillarde, pardi !
Non, Folky n’est pas ce genre de chien écervelé qui court joyeux, toute langue pendante, après la balle qu’on lui jette droit devant. Il a mieux à faire. Folky est un border collie qui en pince pour la truffe. Son dada: la chercher, la trouver puis l’offrir avec un regard de soumission à son maître, M. Vaujour. Trois mois lui ont suffi pour en faire un limier d’exception qu’il récompense après chaque découverte en lui donnant à mâchouiller un petit morceau de vieux fromage. C’est radin, mais Folky est content. notons au pas- sage et à titre de comparaison qu’il faut deux à trois ans pour former un chien de troupeau, c’est long pour finalement produire laine et côtelettes dont le prix n’approchera jamais au grand jamais celui de la truffe d’hiver du Périgord lequel grimpe sans craindre le vertige jusqu’à 1000 euros le kilo. On voit par là que le champignon qu’on appelle scientifiquement Tuber melanosporum n’a pas usurpé son surnom de « Diamant noir ».
La chasse aux truffes
Le hic avec la truffe, c’est qu’on ne la trouve pas sous le sabot d’un cheval, mais plutôt sous un chêne. Le truc, c’est d’en planter entre 200 et 250 par hectare, on obtient ainsi une truffière qui produira ses premières pépites au bout de quatre ou cinq ans si tout se passe bien, mais cela d’une manière tout à fait aléatoire. Tel arbre aura à son pied de quoi se faire quelques beaux billets quand l’autre juste à côté laissera les poches vides sans que l’on sache pourquoi. En tout cas, impossible pour Jean-Pierre Vaujour de se passer de Folky quand vient le temps de la récolte. Il pourrait bien faire appel à une truie, cependant la tradition s’est perdue. La bête n’a pourtant pas son pareil pour dénicher la truffe qui diffuse une odeur proche des hormones sexuelles du verrat. En l’absence de migraine, la cochonne le droit au but pour satisfaire son désir de coït. Les inconvénients: 1 – elle n’est pas aussi docile qu’un chien ; 2 – elle tient plus de place dans une voiture et sa propreté est quelquefois limite. Et voilà pour- quoi le cochon à la différence du chien n’est le meilleur ami de l’homme qu’une fois mort et bon à manger. M. Vaujour pourrait aussi, si l’envie lui en prenait, regarder les mouches voler sans perdre son temps. Capable de détecter une truffe à plusieurs kilomètres, l’insecte vient y pondre ses œufs. Plus tard, les larves gueuletonnent sur place tandis que leur tendre mère veille sur eux. Sa présence durable autour du même point indique à l’observateur avisé qu’il y a truffe sous terre.
Les inconvénients:
1 – On ne lie pas de relation d’amitié avec une mouche ;
2 – Elle s’avère dix fois moins efficace qu’un chien.
D’après Jean-Pierre Vaujour, la grande époque de la truffe est révolue depuis longtemps : « Dans les années 1900, la production était très largement supérieure. On mangeait ça comme des pommes de terre. Dans un vieux bouquin de cuisine, j’ai trouvé une recette qui préconise de fourrer une dinde avec 5 kilos de truffes ! Vous imaginez ? Moi, je me régale avec une brouillade : quelques œufs battus avec de la truffe broyée.» La truffe qu’il ne mange pas, il n’a aucun mal à l’écouler. 80 % de la production est vendue par le bouche-à- oreille – il prévient ses fidèles clients par téléphone quand il y en a – et le reste a vite fait de partir sur le marché de Brive.
Brèves de marché
Il a suffi d’une chanson à Georges Brassens pour assurer une renommée éternelle au marché de Brive-la-Gaillarde. Sur place, malheureusement, il faut déchanter. Peu de chance en effet de voir au petit matin «quelques douzaines de gaillardes se crêper le chignon à propos de bottes d’oignons ». non, pas d’échauffourée sous la grande halle, mais à la place, des rangées d’étals ployant sous les alléchants produits de la campagne corrézienne. Quinze ans que Léon fait le marché. Quinze ans qu’il lance à la cantonade un vibrant : « Tout est bon chez Léon ! » Sous la visière de la casquette, l’œil est malicieux. «Je viens de Tulle, le pays de François. De retour à Paris, vous lui direz qu’il nous donne quelques sous. Avec 700 € de retraite, j’ai juste le droit de mourir. » Derrière lui, Fred vend des volailles. Si on veut en manger, il faut d’abord les occire puis les plumer et les vider. Mais Fred est formel : « Le plus long, c’est la cuisson.» À propose de cailles, il est intarissable. «Si elle a les yeux bleus, c’est une poulette. Si elle couine : aussi. » Il le confesse : « Je suis un homme heureux. Que demander de plus ? Je passe la journée en compagnie de dames.» Thierry, ancien chauffeur de François Hollande quand ce dernier était encore à Tulle, vient lui donner un coup de main à ces moments perdus. Lui, voue une passion aux champignons et plaint les gens des grandes villes, les Parisiens en particulier, toujours pressés et qui ignorent tout du plaisir d’aller cueillir par une journée d’automne, des champignons dans un sous-bois baigné d’une lumière mordorée. Sûr que le premier week-end de novembre quand canards et potimarrons cèdent la place à la Foire du livre, la deuxième plus grande de France après Paris, il en pro te pour s’adonner à sa passion.
Chez Francis
Assez tôt le matin, Francis aime aller faire un tour au marché à deux pas de son restaurant, le bien nommé « Chez Francis ». Selon les jours, il y fait quelques courses, puis s’en revient pour se mettre aux fourneaux. À ses côtés, il y a Franck, le fiston. Dominique, l’épouse, est en salle qui trottine d’une table à l’autre, le sourire aux lèvres et les bras chargés d’assiettes. Travail, famille, gastronomie. On en redemande. Durant la Foire du livre, éditeurs et auteurs y ont leur rond de serviette. Des convives célèbres pour témoigner de leur satisfaction ont pris l’habitude d’écrire ou de dessiner sur les murs. Certes, ils félicitent le chef pour ses talents, mais ils ont toujours un mot pour évoquer la chaleur du lieu, son ambiance « Les copains d’abord ». Ariane Ascaride s’enflamme : « Chez vous ce soir, j’ai touché du doigt ce que vivre veut dire. » Wolinski fait du Wolinski. À un type qui propose fort galamment à une nana : « Je t’emmène chez Francis et après je te saute », celle-ci répond un brin désabusée : « Saute-moi d’abord, après Francis tu vas être bourré. » Mais, laissons au chat de Geluck le mot de la fin : «À terme comme à Lascaux, le risque c’est que la respiration des clients n’altère cette sublime œuvre pariétale. » En attendant l’avènement de cette catastrophe annoncée, on aurait tort de se priver d’une pièce de veau fermier (élevé sous la mère) accommodée par Francis.
Les héros du stade
Qui dit Brive, dit rugby. Depuis 1912, la ville tout entière pousse derrière son équipe. Ayant connu des hauts et des bas, le Club Athlétique de Brive gardera toujours dans son cœur Amédée Domenech, un fameux pilier ayant sévi dans les années 1950 et 1960. Le stade porte son nom, c’est dire l’aura de celui que l’on surnommait « le Duc ». Un sacré personnage qui ne manquait ni de force ni d’esprit. À un adversaire borgne qui lui faisait des misères, il cha un coup de poing dans son œil valide en lui souhaitant haut et fort : « Bonne nuit, Mon- sieur ! » C’est dans la tribune Sud que l’on peut voir les soirs de match une étrange silhouette. Une cape noire, des collants noirs avec par dessus un slip léopard maintenant tant bien que mal des génitoires excessivement trapus, il s’agit de Gaillard Man, le super héros qui veille sur le destin des joueurs du CAB. Venu de la planète Pro D2, il n’a pas l’intention de quitter la constellation Top 14.
Une nuit au cardinal
Isolé sur les quais de la Corrèze, un bâtiment falot affiche en lettres capitales sur sa façade cette inscription : Le Cardinal –Club de nuit. Ne passe se fier à sa mine, car dans ses entrailles, ça balance pas mal. Certains week-ends, les joueurs du CAB viennent y célébrer gaillardement une troisième mi-temps provoquant un grand branle-bas chez les poulettes qui rêvent de se blottir contre un torse puissant le temps d’une chanson tendre d’Eros Ramazzotti. Durant la Foire du livre, éditeurs et écrivains oublient le protocole. On a vu Jean Teulé assisté de Bernard Pivot lancer de frénétiques « à la queue leu leu», Christine Angot galocher pour la première fois Doc Gynéco en pensant hélas que ça pourrait faire un livre, Amélie Nothomb s’employer à…, mais jetons un voile pudique sur ces folles soirées qui au matin vous laissent parfois comme on dit à Brive «aussi frais qu’un bol de pisse ».