À mi-chemin entre Rio et São Paulo, la baie de Paraty est une rafraichissante parenthèse entre mer apaisée et forêt envahissante. Au-delà de la carte postale et de ses figures consacrées-plages idylliques, criques secrètes et consorts-la région, berceau de la culture caiçara, ménage de belles rencontres: pêcheurs et taulards au long cours racontent un Brésil inattendu et attachant.
Il est curieux comme le même endroit peut être vécu tantôt comme un paradis, tantôt comme un enfer. Lorsqu’il débarque à Ilha Grande en tongs et chemise à fleurs, le visiteur est plutôt tenté par l’option « jardin d’éden tropical » servi bien tiède avec sa côte sauvage léchée d’eau turquoise, son soufflé de jungle luxuriante nappé de cascades et de piscines naturelles, ses brochettes de villages paisibles garantis sans voiture ni CO2. Les agences touristiques et leurs bataillons de poètes-le secteur touristique semble toujours avoir été un grand réservoir de talents littéraires-s’enflamment dans leurs brochures pour « les merveilles de la forêt et les plages vertigineuses d’une quiétude absolue » et notamment pour celle de Lopes Mendes « l ‘une des plus 10 plus belles plages du monde ». Au passage, il faudra qu’on m’explique un jour comment on classe les plages. Il paraît que ce sont maintenant les internautes qui sont sollicités pour les noter. Avant, on devait sans doute payer un type qui se promenait de baies en criques pour apprécier la finesse du grain de sable ou la régularité des rouleaux. En tout cas, si l’Île Grande est aujourd’hui un paradis, c’est parce qu’elle a longtemps un enfer.
Découverte en 1502 par les Portugais, l’île devient rapidement un repaire de pirates et de flibustiers anglais, français et hollandais d’abord à l’affût des galions espagnols qui revenaient du Pérou les cales pleines d’or et d’argent, puis, après la découverte d’or dans le Minas Gerais fin XVIIe siècle, des navires portugais qui appareillaient depuis Paraty pour Rio. Bientôt, les négriers y établissent un centre d’adaptation où les esclaves africains se remettent de leur épouvante traversée le temps d’apprendre quelques rudiments de portugais. Un lazaret accueille des malades du choléra ainsi que les postulants à l’immigration qui y sont placés en quarantaine. Enfin, vers 1894, le gouvernement décide de transférer les prisonniers de Fernando de Noronha vers Ilha Grande. Avec l’ouverture de la colonie pénitentiaire de Dois Rios sur la côte sud-est, l’île devient l’Alcatraz du Brésil. Le pénitencier, démantelé seulement en 1994, a su préserver Ilha Grande de la fièvre touristique qui a saisi tant d’autres sites enchanteurs. Ici, au contraire, aucun complexe hôtelier, aucune route bitumée, aucun supermarché, pas même le moindre guichet de banque. « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches », disait Victor Hugo. À moins que ça ne soit Mélenchon. Je ne sais plus. (…)