Bretagne : par baies et par pointes dans le Finistère Sud

Bretagne : Par baies et par pointes dans le Finistère Sud

Où l’on apprend que Tristan peut être le nom d’une île et qu’à Douarnenez le kouign-amann est né. Où l’on constate qu’il n’est pas toujours aisé de tenir debout sur un rocher à la pointe du Raz ni debout sur un surf à la pointe de la Torche. Où l’on s’étonne que l’on coure dans un phare et que la baudroie soit si monstrueuse. Où l’on se grise de mer, de terre, de Finistère.

Douarnenez. Couchés sur le flanc dans la vase, presque l’un contre l’autre, de vieux bateaux de pêche en bois n’en finissent plus de pourrir sous les assauts de la pluie, du soleil et de la mer au Port Rhu en face des chantiers navals. Les plus vieux pensionnaires du lieu dressent leurs squelettes décharnés et vermoulus au ras de l’eau comme pour dire aux plus jeunes avant de boire la dernière tasse : « vous serez ce que nous sommes. » En attendant, les blancs-becs se disent qu’ils ont encore quelques belles années devant eux pour s’effriter, se rouiller, se délabrer à qui mieux mieux. Oui, on les verra encore longtemps se décomposer dans leur cimetière, la poupe au frais posée dans la flotte et la proue se faisant chatouiller par les branches des grands arbres. On peut les envier de passer ainsi leur mort au grand air à seulement quelques encablures de la mer d’Iroise qu’ils ont si bien connue. (…)

Tristan et Gilles

Quittant les épaves, il suffit de descendre le bras de mer jusqu’à son embouchure, pour apercevoir à 300 mètres de la côte la petite île Tristan coiffée d’un bosquet touffu et très vert sur lequel se détachent nettement deux bâtisses blanches. Gilles Moreau m’attend sur la cale du Guet en contrebas du boulevard Camille Réaud. À bord de son canot, la traversée est l’affaire de cinq minutes. Il est resté debout, la main sur la poignée de gaz, le front plissé par l’inquiétude comme souvent les marins quel que soit le temps, un accident est si vite arrivé, et les cheveux, les derniers, aussi gris que le ciel ce jour-là, ceux qui ont trouvé refuge du côté des tempes, voletant dans la brise. nous voici chez lui. En n pas exacte- ment, car l’île appartient au Conservatoire du Littoral depuis 1995 à la suite de l’expropriation de la famille Richepin qui l’avait acquise en 1911. Il n’empêche que c’est un peu chez lui au vu de ses états de service. Trente-cinq ans qu’il vit sur place. Embauché comme jardinier et gardien par les Richepin, il a été confirmé dans ses fonctions par le nouveau propriétaire accédant au passage au statut de fonctionnaire municipal. Il a reçu aussi le renfort de trois autres employés, mais lui seul dort sur place. Bien entendu, on ne reste pas trente-cinq ans sur un îlot de 450 mètres de long par 250 mètres de large sans aimer un tant soit peu la solitude, car si Douarnenez est tout proche, la mer selon son humeur défend de s’y rendre. Un jour l’épouse de Gilles en a eu marre de Tristan. Elle est partie pour ne plus revenir. Gilles est resté pour continuer à veiller sur l’île de sa vie dont l’accès est interdit au public sauf pour de courtes visites organisées par la ville. Et il y a du boulot bien qu’il puisse compter sur un système de surveillance électronique. « Les amoureux viennent en kayak à la recherche d’un petit nid, mais j’ai de la bouteille. Un simple vol de goélands peut m’alerter.

Un jour, on a attrapé un homme qui sur la plage faisait l’amour à la mer. On l’a remis à l’eau et les gendarmes l’ont cueilli au retour. » Voilà pour son rôle de gardien. Sans doute préfère-t-il l’autre, celui de jardinier, car toutes sortes de plantes poussent sur ce caillou par les grâces d’un énième microclimat breton. Dans l’arboretum enclos de murs, bambous, palmiers, myrtes du Chili, araucarias, camélias, palmiers – la liste est encore longue – prennent leurs aises. Ailleurs, là où le vent ne souf e pas trop fort, c’est le règne des pins maritimes, des cyprès, des chênes et des cèdres. Le cadre enchanteur séduit renards, martres, belettes, lapins de garenne sans parler des rhinolophes. Gilles, naturaliste à ses heures, éprouve une tendresse particulière pour ces chauves-souris en dépit de leurs grandes oreilles gonflées comme un spinnaker un jour de tempête. «Il faut tout faire pour les conserver, mais leur habitat se réduit. Pourquoi? Trop de clochers grillagés et de moins en moins d’arbres creux. Beaucoup l’ignorent, mais le rhinolophe consomme son poids en moustiques dans la nuit. C’est notre allié. »

La sardine et le kouign-amann

Photo: Jeremy Suyker

Dans une clairière envahie par de hautes herbes se niche une petite cha- pelle, dite «chapelle des aviateurs». Cora Laparcerie, la femme de Jacques Richepin y repose en compagnie de ses proches. Elle l’avait fait ériger en hommage à Costes et Bellonte qui traversèrent l’Atlantique en 1931 de Paris à New York. Comédienne, directrice de théâtres parisiens, elle avait coutume d’organiser dans sa maison de maître des fêtes olé olé où le Tout- Paris se pressait. Comme cela paraît loin. À cette époque, on dénombrait près de mille chaloupes sardinières dans le port de Douarnenez et maintes conserveries aux alentours. À la sardine, Douarnerez devait sa richesse et ses habitants, leur surnom: Penn Sardin, penn signi ant tête en breton. Ils auraient tout aussi bien pu s’appeler «Penn kouign-amann» au motif que l’on doit à un Douarneniste, Yves- René Scordia, l’invention le dimanche 8 mars 1860 de ce gâteau à pâte feuilletée, gorgé de beurre, lesté de sucre, luisant comme un caramel. Un vrai miracle qu’il réalisa au débotté pour réapprovisionner en urgence sa pâtisserie vidée de tous ses biscuits dès la sortie de la messe. On dit qu’une fée gourmande et un tantinet rondelette se serait penchée sur son four ce matin-là.

Vous l’aurez compris, s’il y a bien un endroit sur terre où il faut manger un kouign-amann, c’est à Douarnenez plutôt qu’à Quimper, Concarneau ou Djakarta.

La suite dans AR 26

Photographe : Jeremy Suyker
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Écrit par
Albert Zadar
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