Il ne voyage jamais sans elle ; et pourtant, il voyage beaucoup. Jean-Luc Thomas entraîne sa flûte flûte traversière partout, de sa Bretagne natale à l’Afrique, du Brésil à la Pologne… Celui que Les Inrockuptibles qualifient de « flûtiste d’exception » multiplie les pas de côté cet hiver. Entretien...

De São Paulo à Zingaro, Jean-Luc Thomas, flutiste voyageur

Jean-Luc Thomas fait paraître sur Hirustica, le label qu’il gère avec le trompettiste Gaby Kerdoncuff, des enregistrements réalisés en 2015 avec une demi-douzaine de virtuoses brésiliens. En parallèle, il accompagne les chevaux de Bartabas dans « l’ultime création » voulue par le maître-écuyer, un ballet dont les cavaliers s’éclipsent. Enfin, il commence à présenter Oficina, carnet d’un voyage en solitaire parmi les rythmes brésiliens. Ce bouquet de projets est l’occasion de revenir sur son parcours…

La flûte existe dans le monde entier, sous des formes très différentes. Est-ce cet instrument qui vous permet de voyager et de rencontrer d’autres artistes ?

C’est effectivement une bien belle boussole ! Associé à la fois au terreau local et à l’improvisation, cet instrument m’a permis de faire de formidables rencontres du Nord au Sud. J’ai commencé avec les musiques de Bretagne et d’Irlande et, quand j’ai rencontré l’improvisation, ma flûte m’a permis d’aller dialoguer avec des musiciens au Mali, au Kurdistan irakien, au Niger (avec le maître peul Yacouba Moumouni), en Inde (avec Ravichandra Kulur, le dernier flûtiste de Ravi Shankar), en Tunisie, en Pologne, au Brésil (avec Vitor Lopes, Carlos Malta…). J’ai aussi rencontré des jazzmen comme Michel Godard. Jusqu’à l’aventure Zingaro…

Vous participez en effet au nouveau spectacle équestre de Zingaro, « Ex-anima ». Comment se déroule le dialogue (musical) avec les chevaux ?

De façon à chaque fois différente. Dans ce spectacle, hommage au cheval, tous les sens sont en éveil : olfactifs, auditifs, visuel… On est en permanence en train de produire les conditions pour qu’il se passe quelque chose. Les odeurs des spectateurs, par exemple, peuvent dérouter les chevaux ; on neutralise donc la salle avec de l’encens à deux reprises avant le spectacle. Les oreilles sont ouvertes avec une intensité comparable. Tout est extrêmement fin, extrêmement sensible. Je ne veux pas dire que les chevaux sont des mélomanes. Mais ils ont une très grande mémoire auditive. De notre estrade, on a une vraie interaction avec eux. Nous bougeons avec nos amis, respirons avec eux, ils sont nos guides ! Nous tentons d’être présents et fidèles à leurs idées chaque soir… Les chevaux sont toujours à l’affût, très peureux, donc très réceptifs à tout…

L’un de vos projets vous a mené au Brésil, à la rencontre d’artistes comme le guitariste Carlinhos Antunes, le pianiste Gabriel Levy ou le percussionniste Pedro Ito. Il a donné naissance à un album, qui sort cet hiver. Pourquoi lui avoir donné le nom de « Kerlavéo » ?

Cette formation est une idée de Vitor Lopes (harmonica, guitare), un frère pour moi. Quand je suis arrivé en 2015 pour faire des concerts, le groupe s’appelait « Sexteto Jean-Luc Thomas ». Cela m’a un peu gêné car ce n’était pas mon idée. J’ai demandé à ce que l’on change le nom et celui de « Kerlaveo, un morceau que nous jouions, une composition de Vitor en hommage à ma maison, où il est souvent venu, a surgi. En fait, Kerlavéo est mon domicile, à Vieux Marché, dans les Côtes d’Armor. Quand j’y suis arrivé, j’ai demandé à un éminent toponymiste, évidemment bretonnant, s’il pouvait m’éclairer sur le sens de ce nom. Il a fait des recherches et m’a dit que ça voulait dire « la ferme de l’audacieux ». Le morceau plaisait à tous, autant que la philosophie qu’il y avait derrière ce lieu, c’est donc devenu le nom du groupe.

Vers quels nouveaux territoires aimeriez-vous que votre flûte vous entraîne dans les années qui viennent ?

J’aime bien l’idée que le territoire le plus attractif est celui que l’on ne connaît pas. Donc je laisse les vents guider mes pas… Je me suis retrouvé sur l’ile de Vormsi, en Estonie, l’été dernier. J’y ai découvert la fascinante tradition du hiukannel, la lyre à archet, et des gens magnifiques. Donc, le Nord m’attire. Je vais également bientôt travailler avec un musicien de Salvador de Bahia, où je ne suis pas encore allé. J’aimerais rencontrer des tribus indiennes riveraines du fleuve Xingu (les Kamayura, les Yawalapiti, chez qui les flûtes sont multiples…). Donc les tropiques m’appellent. Je continue mon travail avec Ravichandra Kulur (Inde du Sud), Yacouba Moumouni (Niger) et les autres (David « Hopi » Hopkins, Michel Godard,…), donc l’avenir saura me guider. Je laisse l’histoire se construire, reste disponible et accueille chaque jour avec ce qu’il m’apporte.

Aller plus loin

Disque Kerlavéo (Hirustica / L’autre distribution)
Prochaines dates d’Ex-Anima : Béziers du 23 avril au 19 mai, Lyon du 14 juin au 24 juillet, Bordeaux du 17 août au 14 septembre, Brest du 4 octobre au 27 octobre, Toulon du 19 novembre au 15 décembre
Consulter le blog que Jean-Luc Thomas tient pendant ses voyages : www.blog.jeanlucthomas.com
Photos : Nolwenn Blouin et Stela Handa

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Écrit par
François Mauger
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