Guadeloupe : Jacques Schwarz-Bart, Delgrès et leurs fantômes

Sous le sable des îles, les racines se croisent et s’entremêlent. En Guadeloupe, comme dans toute la Caraïbe, relire l’odyssée de ses ancêtres permet de se relier à ses contemporains. C’est ce sentier escarpé, qui mène de la mémoire au monde, que défriche Jacques Schwarz-Bart sur son nouvel album, Hazzan.

Les racines juives de Jacques Schwarz-Bart

Le jazzman né aux Abymes fait résonner dans son saxophone les prières juives qu’entendait son père avant la guerre. En arrière-plan de ces airs majoritairement traditionnels (Oseh Shalom, Adon Olam…) se déroule donc le parcours d’André Schwarz-Bart, un enfant des années 1930, emporté, parce que juif, dans le fracas de la seconde guerre mondiale, résistant et auteur d’un roman, Le dernier des justes, couronné en 1959 par le Prix Goncourt.

Blessé par la polémique qui a suivi sa publication, le romancier a cherché refuge en Guadeloupe, l’île de sa femme, Simone. Ensemble, ils ont écrit Un plat de porc aux bananes vertes, qui mêle les destins antillais et juif, puis il a évoqué, seul, le sort des esclaves dans La mulâtresse Solitude.

La clé des nouvelles envolées instrumentales de Jacques Schwarz-Bart est donc là, dans la vie qui les ont précédées, une vie douloureuse dédiée au récit. Mais, si profondes que puissent être ses méditations, comme sur le touchant Ma Nishtana, elles ne renient jamais la formidable fertilité rythmique du jazz antillais.

Delgrès : le blues dans un créole inouï

Par moments, le piano du Martiniquais Grégory Privat surchauffe. A d’autres, la pulsion du gwo ka affleure sous les doigts du batteur guadeloupéen Arnaud Dolmen. Ensemble, en déterrant d’immémoriales mélodies juives, ils écrivent une nouvelle page de l’histoire musicale de l’île…

A sa façon, abrupte mais irrésistible, Delgrès propose également une leçon d’écriture. Le trio intime à l’auditeur l’ordre de retourner les cartes postales, de ne plus considérer la face qui montre une île enchanteresse mais l’autre, la page blanche. Pascal Danaë, qui chante ici le blues dans un créole inouï, se dévoile enfin.

Après des années de collaborations diverses et une Victoire de la Musique partagée avec le Brésilien Orlando Morais pour le projet « Rivière Noire », le musicien, qui a grandi en région parisienne avec ses six frères et sœurs, renoue avec la Guadeloupe de ses ancêtres.

En souvenir de Louise, son arrière-arrière-grand-mère, esclave affranchie en 1841, il fait souffler un fort vent de liberté sur les compositions impétueuses de Mo jodi, le premier album du trio. Derrière les rugissements de sa guitare dobro, les coups sur les cymbales de Baptiste Brondy et les aboiements du sousaphone de Rafgee, des spectres s’ébrouent.

Ce sont les fantômes d’une dignité perdue (Respecte nou), d’une démocratie évaporée (Mr President) ou, plus lointain mais pas moins obsédant, du colonel Louis Delgrès, martyre de la cause abolitionniste, qui, en 1802, a préféré se suicider plutôt que d’être capturé (Mo jodi).

« Pourquoi tout ne reviendrait-il pas à savoir qui je « hante » ? » s’interrogeait André Breton au début de Nadja. Ces deux disques inspirés de la Guadeloupe racontent de splendides histoires de revenants, à la fois inquiétantes et excitantes. Ils forment la bande-son idéale de cet automne, tandis qu’approche silencieusement la fête des morts…

A écouter :

Jacques Schwarz Bart « Hazzan » (Enja)
Delgrès « Mo jodi » (Pias)

© photos : DR.

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Écrit par
François Mauger
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