Grâce à une savante et aérienne chorégraphie répétée depuis plus de deux siècles, les Catalans construisent des châteaux plus vite que quiconque. Tandis que vers Tarragona, les tours partent caresser le ciel, l’Ebre tout proche s’étale en méandres paresseux pour le plus grand bonheur des oiseaux.
« Les hommes sont comme les pommes, disait Mirabeau qui s’y connaissait en fruits et légumes. Quand on les entasse, ils pourrissent. » Les hommes peut-être, mais pas les Catalans. Cela fait même de jolis châteaux (castells). Certains dimanches de printemps, on les voit converger en masse vers la place de l’hôtel de ville et s’agglutiner comme des abeilles sur le point de fonder une nouvelle colonie. Un spectateur non averti pourrait suspecter sous ce grouillement informe et inquiétant la présence d’une reine énorme tout occupée à pondre la prochaine génération. Mais bientôt quelques individus émergent de cette joyeuse effervescence, se font rejoindre et dépasser par d’autres qui leur grimpent dessus sans façon et s’élèvent vers les cieux en improbables et branlants échafaudages. Une forêt de bras ondule vers le centre de l’édifice, des mains se crispent sur des fesses tendues par l’effort, des doigts étranglent des chevilles, pétrissent des mollets à s’en blanchir les phalanges, tout n’est bientôt qu’un agrégat de muscles contractés, un pudding de mâchoires serrées et de veines gonflées. (…)
Photographe : Christophe Migeon