Sillonnant l’Amérique du Sud en 4×4, Claire et Reno Marca ont souvent l’occasion de casser la croûte dans des bouis-bouis improbables. Au Sur del Mundo à l’extrémité du Chili, ils savourent en contemplant le détroit de Magellan des empanadas fourrées au crabe royal de Patagonie, un géant qui sait se plier en quatre pour faire plaisir.
Bonjour l’ambiance !
On nous a vanté cette adresse au sud de Punta Arenas comme celle où manger les meilleures empanadas de centolla (chaussons au crabe royal de Patagonie) du coin. Patricia, la voisine, nous a prévenus que c’était cher, et nous sommes déjà venus deux fois au «Sur del Mundo» sans trouver porte ouverte. Mais la perspective de goûter à cette recette inédite valait bien persistance.
L’intérieur du restaurant tout en bois est aussi vide qu’une gare routière en plein Sahara. À côté du livre d’or, la carcasse d’une centolla dont l’envergure peut atteindre1,50 m. Par les grandes baies vitrées, la vue embrasse les cabanons de Bahia Carrera et le détroit de Magellan. «En saison, on voit passer les baleines», nous informe Loceli. En face dans la brume se devine la silhouette de la Terre de Feu,la Islacomme les Chiliens la nomme. Vers le sud, on distingue un dédale de fjords, de montagnes abruptes et de forêts où cohabitent baleines, cormorans, phoques et lions de mer. Une nature exceptionnelle à l’état brut.
Qu’est ce qu’on mange ?
Le menu est bref comme un haïku. Une empanada, trois possibilités: centolla (crabe), camarón (crevette), jamon (jambon) avec du queso (fromage) en option. Après quatre mois de voyage depuis l’Uruguay, d’autres feraient une overdose de ces petits chaussons fourrés au bœuf, au poulet ou aux légumes. Mais nous les apprécierons aujourd’hui, car il fait une météo à faire passer la Côte d’Opale pour un sanatorium helvétique. Loceli s’efface avec notre commande et l’élégance d’une danseuse de tango. Seuls dans la grande pièce vide et sans baleine à observer, nous patientons bercés par les bourrasques qui font craquer les parois. Au dehors les drapeaux Magallano et Pepsi déchirés par le vent austral claquent sans répit. «Cambia tu rutina», adjure le soda américain. Des rires d’enfants se font entendre derrière la paroi.
Ici le crabe est royal
Sur del Mundo c’est une cafeteria, une épicerie mais aussi une maison. Trois générations travaillent et vivent ici depuis 2008. Stars de la gastronomie sud-américaine, les empanadas connaissent autant de variantes que de cuisinières, de Lima à Ushuaïa. La version au crustacé est locale, car c’est ici, de Punta Arenas à l’Antarctique que l’on ramasse ces géants des mers. Et même si 80 % de la pêche part à l’exportation, notamment aux États-Unis, on en trouve des surgelés dans les restaurants ou au petit marché aux poissons de Punta Arenas.
Mangeons moins bête : saviez-vous que le crabe royal de Patagonie fait partie de la même famille que le Bernard l’ermite?
L’odeur de friture qui voyage depuis la cuisine précède Gary qui arrive avec les plats. Le frère de Loceli est aussi baraqué que sa sœur est menue, et il rivalise en tatouages sur un corps qui a dû soulever plus de fonte que d’empanadas. Gary, c’est l’homme de la maison depuis la mort du papa. Il est pêcheur-plongeur. Son bureau, c’est le fond du détroit de Magellan, un open space d’où il remonte selon les saisons des oursins ou des algues rouges destinées à la Chine et au Japon. Les crabes, ce n’est pas son rayon. «Ils sont pêchés avec des nasses à bord des lanchas entre juillet et décembre.
Si vous en trouvez des frais en ce moment, c’est de la contrebande.» Pratique sans doute courante. Chacun dans ce bout du monde, homme de la mer ou de la terre, améliore comme il peut une vie que le climat de Patagonie n’est pas le seul à rendre si rude. Les empanadas sont toutes chaudes et dorées. Mélangée à des oignons, de l’ail et du piment doux, la chair du crabe sous la pâte croquante est un délice. «Mettez-en deux autres, s’il vous plaît!» Ça valait bien deux jours d’attente. En plus, on pourra goûter les oursins. Gary nous en a offert un gros pot rapporté de sa pêche.
À faire avant :
– Km 15, au sud de Punta Arenas, s’extasier devant le cimetière des mascotas(animaux de compagnie) où Master, Neron, Benito… sont enterrés avec leurs jouets.
– A Bahia Carrera,faire halte à la petite chapelle de San Pedro cachée au milieu des cabanons. La statue du Saint croule sous les bouquets en plastique, les coquillages et les masques antiCovid. Y faire une prière pour que le restaurant soit ouvert.
-Marcher jusqu’au Faro San Isidro (2h30 A/R), le phare le plus austral du continent,pour s’ouvrir l’appétit
À faire après :
-Marcher jusqu’au Faro San Isidrosi on a abusé des empanadas.
-Visiter le musée voisin de Fuerte Bulnes qui, s’il est bien fait et offre une très belle vue sur l’estrecho, rappelle qu’ici encore, on cultive plus la mémoire des colons que celle des indigènes.
-En chemin vers le musée, un rond-point presque aussi vaste que la place de l’Étoile atteste, Vierge hissée sur une colonne et carte à l’appui, qu’ici se trouve la moitié géographique du pays. En effet, les Chiliens considèrent que leur territoire s’étend jusqu’au pôle Sud.
Sur del Mundo
La cuenta por favor: entre 5 et 10€/pers. Oui, le coût de la vie est très élevé au Chili. Site internet: un jour peut-être…
C’est par où?: Punta Arena km 51 ½ sud
Tél.: 088 554 50
Textes : Claire Marca
Photos : Reno Marca