Notre chroniqueur a fait le tour de la capitale grecque. Il a constaté que le culte des dieux de l’Olympe était toujours vivace.
«Mais où se trouve le Colisée ?»
Je t’écris d’Athènes, une ville déroutante, car on croit arriver dans le berceau de l’Europe et on se retrouve en Orient. Elle évoque Istanbul plutôt que Rome. C’est le bordel magnifique. Le trafic est absurde, les trottoirs pas droits ; on se gare sur l’autoroute, on roule à moto sans casque et on fume au restaurant. Je ne t’apprends rien : à Athènes, on trouve de très vieilles pierres qui nous rassurent quant à la permanence des choses. Je caresse du regard ces statues antiques, déesses lascives et autres bonasses caryatides qui m’entraînent dans des rêveries érotiques diurnes que je ne détaillerai pas pour éviter de te choquer.
Devant le Parthénon, une escouade de gardiens surveille le troupeau de visiteurs pour les empêcher de voler des cailloux ou de faire n’importe quoi pour la photo. L’un d’entre eux m’explique qu’un touriste lui avait un jour demandé : «Mais où se trouve le Colisée ?» J’ai appris, en interviewant une archéologue, que la religion hellénique était toujours vivace — alors qu’elle a été inter- dite par Théodose en 392. En 2020, des néo païens dodécathéistes vouent un culte à Apollon, Athéna, Aphrodite et compagnie. Il y a même une branche extrémiste qui entend « libérer la Grèce de la dictature de la secte des Nazaréens ». Parfois, ils font des grèves de la faim.
«All we have is words All we have is worlds»
Dans un restaurant de poisson nommé Travolta, le cuisinier a enfourné avec sa main du poulpe grillé dans ma bouche. Dans un bar nommé Batman, j’ai chanté en grec toute la nuit. Le lendemain, j’ai discuté avec un menuisier dont le calme olympien m’a fait oublier ma gueule de bois. Des hélicoptères zèbrent le ciel et les rues sont fermées à la circulation, car le président chinois est en visite officielle. En exagérant, on pourrait dire que Xi Jinping vient faire un tour dans sa résidence secondaire. La Chine a racheté le port du Pirée, point d’entrée de ses marchandises en Europe. Elle a investi beaucoup d’argent quand le pays était au tapis. On ne mesure pas bien la puissance du ressentiment grec vis-à-vis de l’Union européenne. Dans une bouzoukia du quartier rebelle d’Exarcheiá, une chanteuse revisite le répertoire rébétiko, ce blues grec qui pleure les amours contrariées. Elle enchaîne les clopes et les verres de raki, un alcool local qui rend la nuit élastique. Elle est sublime, puissante et dévastée. Le public de la taverne reprend les refrains en chœur. Je suis hypnotisé. Un vieux luthier m’a conseillé de mettre du meraki en toute chose.
Sur les murs de la fondation Onassis, on peut lire en lettres rouges : All we have is words All we have is worlds
Le mot meraki n’a pas d’équivalent dans d’autres langues. Il désigne, grosso modo, le fait de travailler avec cœur et passion. «Le meraki, c’est prendre soin de toute chose jusqu’au moindre détail », affirme Maria, une joaillière qui fabrique des talismans protecteurs. « C’est une histoire de partage et de respect. C’est savoir que quelqu’un a travaillé pour l’eau qui coule au robinet. Cet état d’esprit nous a aidés à rester stables pendant la crise.»
Sur les murs tagués d’Exarcheiá, on peut lire : Tourist go home.
D’accord.
© Jay P – Flickr Creative Commons