Les touristes, après avoir visité le musée Van Gogh viennent s’y rincer l’œil en ricanant…
Pas besoin de s’enfoncer dans des quartiers reculés. C’est à deux pas de la gare Centrale, en plein centre. Le long des berges de canaux romantiques, on trouve d’innombrables sex-shops qui affichent leurs produits en vitrine entre boulangerie, pharmacie ou sandwicherie… Il y a aussi les coffee-shops où l’on peut acheter toutes sortes de substances à fumer en toute légalité. Et puis, le clou du quartier, ces fameuses vitrines derrière lesquelles des créatures féminines exhibent leurs charmes à louer. Nous sommes au « red light district », ainsi nommé en raison de la teinte des lampes. Les féministes trouvent ça glauque, les clients du sexe y font leurs courses, les fumeurs de pétard s’éclatent… Et les touristes, après avoir visité le musée Van Gogh et la Maison de Rembrandt pour se donner bonne conscience, viennent s’y rincer l’œil en ricanant. Sur ce plan, il est vrai que cela fait un peu zoo.
Mon corps. Mon travail. Mon choix.
Eh bien, ce manège ne va peut-être pas durer. Femke Halsema, la nouvelle maire écologiste d’Amsterdam élue en juillet 2018, veut déplacer les prostituées du « quartier rouge ». Son argumentaire concerne à la fois les prostituées, qui selon elle, « sont ridiculisées, photographiées à longueur de journée », et les administrés, car il faut « rendre la vie plus agréable pour les habitants du quartier ». Pour cela, l’élue étudie plusieurs possibilités. Soit la fermeture des vitrines par des rideaux, afin que les filles ne soient plus visibles depuis la rue. Soit le déplacement des bordels loin du centre-ville. En attendant, les visites guidées du quartier rouge (car oui, il y a des visites guidées, qui drainent, dit-on, environ 20 000 touristes par semaine) seront interdites à partir du 1 janvier 2020 «par respect pour les travailleurs du sexe ». Ces dernières ont fait connaître leur désapprobation par l’intermédiaire d’un communiqué de leur syndicat : « Notre enquête menée auprès de 170 travailleuses du sexe en vitrine a clairement montré que 93% d’entre elles ne veulent pas s’éloigner du quartier rouge». Elles ont aussi lancé une campagne pour la reconnaissance du travail sexuel, par le biais d’affiches « travail sexuel = travail », ou « Mon corps. Mon travail. Mon choix ».
Le problème n’est pas tant les vitrines que le regard qu’on pose dessus…
On ne on va pas relancer ici le vieux débat sur la prostitution. Il est vrai que le côté vitrine fait objet de consommation. Mais d’un autre côté, les prostituées y sont au chaud, à l’abri des intempéries, peuvent s’asseoir si elles sont fatiguées, et choisir d’ouvrir ou pas à l’éventuel client. Ce qui n’est absolument pas le cas si elles travaillent dans la rue, et dans un quartier excentré. Reste qu’il est bien triste, le spectacle de ces meutes de touristes défilant devant les vitrines en gloussant comme s’il découvraient d’amusants animaux. Sur ce point la maire d’Amsterdam n’a pas tort. Mais ce n’est pas seulement une affaire de législation. Il y va surtout de la conscience individuelle du voyageur : le problème n’est pas tant les vitrines que le regard qu’on pose dessus.
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