TDCDM : Même pas de canaris aux Canaries - A/R Magazine voyageur 2020

Même pas de canaris aux Canaries

Il y a peu, on pouvait découvrir les images des Canaries englouties par une tempête de sable en provenance du Sahara. C’était le premier voyage de mes enfants hors de l’Hexagone. Et ni eux ni moi ne l’avons oublié.

Les impressionnants nuages de poussière orange offraient une vision apocalyptique. Les vents violents alimentaient un gigantesque incendie, ravageant des centaines d’hectares. En conséquence, le célèbre carnaval a été annulé, les aéroports de Tenerife, l’île principale de l’archipel, ont dû être fermés. Des milliers de touristes sont restés bloqués au moment même où le coronavirus apparaissait sur ces îles pourtant isolées de l’Atlantique. Ces évènements m’ont rappelé ma découverte de l’archipel espagnol, il y a bien longtemps. C’était le premier voyage de mes enfants hors de l’Hexagone. Et ni eux ni moi ne l’avons oublié.

Nous avions eu le tort de faire confiance à une agence spécialisée dans le «voyage familial». Son «grand hôtel avec piscine et jardins» se situait à Playa de Las Americas. Le nom nous avait fait rêver. Mais à notre arrivée au petit matin, nous avons surtout croisé des Teutons. Bien sûr, nos chambres n’étaient pas prêtes, et comme la cafétéria était fermée, le peu affable réceptionniste nous a conseillé de « profiter » des jardins. Nous avons ainsi découvert la grande piscine, si bleue sur catalogue. Entièrement vide ce jour-là pour cause de travaux. Habitué aux plaintes, le réceptionniste retors a rétorqué : «Pourquoi se baigner dans une piscine quand la mer est à 500 mètres ? ». Un argument judicieux… Il avait juste oublié un détail : il fallait franchir une autoroute pour y parvenir ! De la passerelle d’accès, cachée deux kilomètres plus loin, nous pouvions admirer la station balnéaire, intégralement bétonnée.

Quant à la playa proprement dite, nous avions le choix entre une aire de galets ou une langue de sable noir… Le comble : elle est située au sud de l’île, là où le soleil tape le plus fort. Un jeune Espagnol nous confia que les autochtones évitaient de s’y rendre, sinon pour vendre des bières ! Nous pouvions également profiter du survol à basse altitude des avions charters, toutes les demi-heures. Normal, l’aéroport était juste à côté. «C’est pratique, nous pourrons nous enfuir plus vite de cet enfer ! », ai-je lancé pour détendre l’ambiance.

Une autre déception nous attendait à la fin de la journée. Le buffet à volonté de l’hôtel proposait uniquement des salades de nouilles. Elles avaient pourtant l’air de plaire aux clients : il n’en restait presque plus après vingt minutes de queue! Pour occuper les enfants, nous avons loué une voiture. À défaut de plage de rêve, autant visiter l’île, magnifique désert de lave aux fleurs éclatantes. Hélas sa traversée ne prend qu’une petite journée, même en y incluant le tour du Teide, ce beau volcan endormi.

Quand les gamins s’ennuient, ils se mettent à faire des bêtises, c’est connu. Émerveillé par les étranges fruits d’un cactus, mon fils a mordu dedans, croyant qu’il s’agissait de haricots verts. Mais un petit d’homme n’a pas les défenses immunitaires d’un lézard. Nous avons ainsi passé le réveillon de Noël au service toxicologie de l’hôpital de Santa Cruz. Quand sa sœur jumelle s’est plainte de ne pas assister au passage du père Noël à l’hôtel, mon fils a alors eu cette phrase regrettable : « Le père Noël n’existe pas ! J’ai vu les parents cacher nos cadeaux sous leur lit. » Effarée par cette cruelle révélation, la pauvre petite s’est mise à pleurer. En bredouillant : «J’aime pas ce pays… Il n’y a même pas de canaris.» Après la plage de cailloux et la piscine vide, c’était la goutte d’eau en trop.

* TDCDM (Trous du cul du monde)

Lire les autres épisodes de Tristan Savin

© Daniel PERRIES – Flickr Creative Commons

Partager
Écrit par
Tristan Savin

Tristan Savin, écrivain bourlingueur, s’amuse à dénicher les lieux improbables. Son dernier livre : Les trous du cul
du monde (Arthaud, 2016)

Voir tous les articles