Né So – Rokia Traoré

La délicate chanteuse malienne sort de sa guitare des refrains gracieux et pénétrants sur un sixième album où chaque mot compte.

Vous intitulez « Né so » (« Chez moi » en bambara) un disque qui traite – notamment – des difficultés des migrants. C’est paradoxal.

Non, quand on part parce qu’on a décidé de partir, on part avec un « chez soi ». Le « chez-soi » peut être dans des valises. Du moment que c’est une décision, ce n’est pas un problème. Mais cet album parle d’un « chez-soi » perturbé, dont la notion est violée, maltraitée et brisée. Aujourd’hui, l’accueil est un problème partout. Même quand on est accueilli, c’est dans des conditions où il est clair que c’est provisoire. Dans ces conditions, qu’est-ce que c’est que le définitif ? Quand est-ce qu’il arrive ?

Vous reprenez Strange fruit, une chanson de la fin des années 30 à propos du lynchage des Afro-Américains. Quelle est son actualité ?

Même si j’ai énormément de douleur en tant qu’être humain de voir que, dans certaines situations, il y a toujours du racisme, je m’interdisais de la reprendre, en me disant que c’était trop profond, trop personnel. Et puis, quand on voit ce qu’il se passe dans le monde, on se dit « OK, j’ai envie de la reprendre » pour rappeler que nous devons faire attention à nous-mêmes et à notre tendance à la destruction. Et à ne pas oublier ou nier ce qu’il s’est passé en Amérique, autant que tout ce que Hitler a pu faire. Ce sont des choses dont l’humanité doit se souvenir.

Aujourd’hui, conseilleriez-vous d’aller faire du tourisme au Mali ?

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Faut-il aller faire du tourisme à Paris ou à Bruxelles après ce qu’il s’est passé ? Ce qu’il s’est passé au Mali, ce genre de prise en otage d’un pays entier, était une première. C’était, je pense, du même ordre que le World Trade Center. Mais il est très dangereux de traiter cette situation comme une situation malienne. Ce serait oublier que c’est le monde qui a changé. Soyons réalistes. Je ne dirais pas à un Européen d’aller visiter Djenné ou Tombouctou aujourd’hui. Mais ce sont des endroits qui, j’espère, vont être très vite à nouveau à la disposition du monde entier, parce qu’ils font partie de ce qu’il y a de plus beau sur terre. Après, à ce jour, la visite touristique reste possible à Bamako avec les mêmes risques qu’à Paris ou Bruxelles. A/R 31

Rokia Traoré Né So (Nonesuch Records)

Photo : ©Danny Willem

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Écrit par
François Mauger
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