La diffusion de la vidéo sexuelle de Benjamin Griveaux par « l’artiste » russe Piotr Pavlenski a secoué la France. Ici, ce n’est pas dans nos habitudes, mais en Russie, c’est une longue tradition baptisée « kompromat » qui n’épargne pas les étrangers.
Au même titre que la vodka ou les matriochkas, les vidéos sexuelles volées comptent parmi les spécialités russes. Et ça ne date pas d’hier. Pendant la guerre froide, le KGB — les services secrets soviétiques — avait formé une équipe spécialisée dans cette activité. En général, ils faisaient appel à des prostituées pour compromettre des personna- lités du monde politique afin de les faire chanter ou les discréditer. Une méthode baptisée « kompromat », soit « matériel compromettant » en russe.
L’un des plus anciens cas documentés remonte à 1954. Le KGB photographie alors John Vassal, un attaché naval britannique, en posture gênante avec un homme (alors que l’homosexualité est encore interdite au Royaume-Uni). Munis de cette photo, ils le font chanter pour récupérer des documents secrets anglais. La carrière d’espion malgré lui de John Vassal prend fin en 1962 quand il est dénoncé par un officier du KGB passé à l’Ouest. Cette bonne vieille tradition n’a pas cessé après l’effondrement du bloc soviétique, bien au contraire. En 1997, un magazine russe mentionne l’existence d’une cassette vidéo dans laquelle le ministre de la Justice Valentin Kovalev prendrait du bon temps avec des prostituées. Comme par hasard, cela correspond au moment où un banquier proche de la mafia russe, Arkadi Anguélévitch, était sur le point d’être arrêté. En 1999, le procureur général de Russie, Iouri Skouratov, a le malheur de s’opposer au président Boris Eltsine. Circonstance aggravante, il enquête sur une affaire de corruption dans l’entourage de ce dernier. La riposte ne tarde pas : les services secrets (désormais bap- tisés FSB, et dirigés alors par un certain Vladimir Poutine) diffusent une vidéo de Skouratov en compagnie de deux prostituées. Le magistrat est démis de ses fonctions… et l’enquête gênante pour Eltsine miraculeusement stoppée.
Il serait fastidieux de dresser la liste exhaustive des victimes du kompromat en Russie. La plupart sont des opposants au régime, mais les étrangers sont aussi visés. En 2009 un média russe diffuse une vidéo de Kyle Hatcher, diplomate américain à Moscou, là encore en compagnie d’une prostituée (on ne change pas les méthodes qui marchent). Motif : il était soupçonné d’être un agent de la CIA. Pour discréditer l’adversaire, tous les moyens sont bons. En 2017, un magazine fait état d’une vidéo montrant le futur président Donald Trump en visite à Moscou en 2013… en compagnie de jeunes femmes payées pour uriner devant lui ! L’existence de cette vidéo n’a jamais été prouvée, mais à quoi bon quand la rumeur suffit à remplacer les images.
Les Français, eux aussi, peuvent être victimes du kompromat. Le premier à l’avoir expérimenté est, en 1964, l’ambassadeur de France Maurice Dejean, dont les ébats avec, devinez qui, des prostituées, ont été filmés — affaire qui se termine par un rappel en urgence du diplomate à Paris. Enfin, en février 2015, Yoann Barbereau, directeur de l’Alliance française à Irkoutsk (Sibérie) est arrêté pour pédophilie, sur la base de prétendues vidéos compromettantes. Il dénonce une machination (à travers lui, on suppose que c’est la France qui est dans le collimateur, à cause des différends dans la crise ukrainienne) et après avoir passé deux mois en prison puis en hôpital psychiatrique, il s’évade de façon rocambolesque et rejoint l’Hexagone.
En dépit de la litanie des cas, pas d’affolement non plus : pour être victime de chantage à la sex tape, il faut au moins être un peu gênant pour le gouvernement. Mais faites quand même gaffe. Avant vos ébats russes, confisquez le téléphone portable de vos partenaires, et vérifiez bien s’il n’y a pas de vidéo surveillance dans les chambres !
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