Est-ce bien raisonnable de dévaliser un magasin de sport avant de partir ?

Est-ce bien raisonnable de dévaliser un magasin de sport avant de partir ?

En voyage, Gizèle a un grand jeu : reconnaître la nationalité des autres touristes. L’Allemand porte des chaussettes dans ses sandales scratch, l’Australien flotte dans un marcel siglé du logo de la bière locale et le Chinois voyage en pyjama. Le Français, lui, se reconnaît en un coup d’œil grâce à ses vêtements techniques flambant neufs. Pour lui, le passage par la case shopping s’impose avant tout voyage.

Le délire

Le jour du grand départ approche. Conscient de vos lacunes en matière de vêtements techniques, vous foncez acheter cette polaire premier prix qui vous sauvera la vie en altitude. Mais voilà qu’après avoir franchi la porte du magasin, vous êtes pris d’une incontrôlable fièvre acheteuse. Vous arpentez frénétiquement chaque rayon. Vous comparez le grammage des textiles, vous devenez incollable sur les propriétés de l’élasthanne et du polyester et l’achat d’une banale paire de chaussettes devient plus complexe que l’adoption d’une directive européenne. Alléché par les promesses des fiches-produits, vous décidez de vous racheter une panoplie de baroudeur. Trois heures plus tard, vous passez enfin en caisse. Exténué, vous attrapez une boisson énergisante pour vous remettre d’aplomb. Félicitations ! Avec cet achat in extremis, vous venez de dépenser la même somme que pour votre aller-retour à Santiago. Vous avez oublié d’acheter la polaire, mais qu’importe, vous rêvez déjà d’utiliser ce ravissant cache-col hydratant, cette incroyable gourde à écran tactile, cette tente qui marche toute seule et ce sifflet anti-ours.

Le défi

13 000 kilomètres plus tard, vous voici en Patagonie, prêt pour un trek de cinq jours dans un décor du bout du monde. Grâce à votre équipement, vous êtes à la frontière entre le voyageur et le cyborg: un pionnier du transhumanisme. Vos poumons peuvent arrêter de fonctionner, même vos chaussures sont « respirantes ». Mais au moment de rencontrer vos compagnons de route, vous déchantez. Ils vous scrutent comme une bête de foire et se moquent de vos gadgets hors de prix. Chacun y va de sa petite pique, surtout Hans, le jeune roots allemand. Crinière de dreadlocks, sarouel et t-shirt troué, Hans est votre exact opposé. Pour garder la face, vous allez tout faire pour le devancer et lui démontrer obstinément l’efficacité de votre attirail.

La défaite

Résultat, au l des jours, vous êtes de plus en plus isolé du groupe. Même le guide chilien en poncho sans âge se per- met de vous balancer des vannes dans son anglais approximatif. Plus la rando avance, moins vous profitez des paysages. Le dernier jour, catastrophe. Votre GPS solaire tombe en rade à l’ombre d’un méchant nuage. Vous vous perdez et arrivez en sueur, deux heures après le reste du groupe. Près du feu de camp, Hans vous nargue la clope au bec. Un trou commence à percer au bout de sa chaussette, mais qu’importe, il faut vous rendre à l’évidence : il est plus rapide que vous malgré sa paire de tongs. De rage, vous bazardez votre équipement censé vous suivre «toute une vie ». Vous vous sentez plus humilié qu’après l’élimination de l’équipe de France lors de la dernière coupe du monde.

Allemagne 1 – Vêtements techniques 0.

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Écrit par
Marion Liautaud
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